Sur les routes
Tahar AYACHI, La Presse de Tunisie.
Une invitation au voyage. Est-ce bien réaliste, en cette période de — relative, il est vrai — effervescence électorale‑? Disons plutôt que c’est une incitation à la participation aux prochaines élections de l’Assemblée constituante, un cadeau – ou une consolation — à vous offrir après le scrutin et la proclamation de résultats qui vous auront ravi ou déçu, comblé ou affligé. Car c’est ça aussi la démocratie, l’essentiel étant de voter et de bien voter. Ensuite ? Ensuite, allez faire le vide intégral dans votre esprit. Cela vous régénérera et vous mettra d’aplomb pour assumer une situation jusque-là inédite dans notre pays.
Mais voyager pour aller où, en cette saison ? L’automne et l’hiver, c’est bien connu, sont dédiés au Sud. Et, aujourd’hui, nous allons nous rendre dans le Sud le plus profond qu’il soit donné à un citadin peu sportif et peu endurant de connaître‑: au campement du lieu-dit Jbîl.
L’occasion m’en a été donnée par mon ami Azdine Ben Yacoub qui m’a demandé d’accompagner au seuil du Sahara tunisien une sienne amie en quête d’une guérison miraculeuse dont l’unique pourvoyeur est le désert, dixit son médecin traitant parisien. Et Azdine, qui ne sait rien refuser dès lors qu’il s’agit de tendre la main à un naufragé de la vie, de concocter à cette «Canadian Patient» un très improbable séjour dans le Sud tunisien alors en pleine ébullition révolutionnaire qui l’a conduite jusqu’au campement de Jbîl. Rappelons à ce propos qu’Azdine est un citoyen tunisien vivant en France (dont il a au demeurant acquis la nationalité) et qui, depuis une vingtaine d’années, organise dans un cadre associatif de multiples événements touristico-sportifs réguliers dans le but de faire connaître — et aimer — son pays d’origine. Son action altruiste a, du reste, été récompensée le 7 octobre dernier, au siège de l’Unesco, à Paris, par la Médaille d’or de la Ligue universelle du Bien public, ONG rattachée à l’ONU, pour honorer les actions humanitaires et l’engagement en faveur des causes internationales en faisant respecter la déclaration des Droits de l’Homme et en dénonçant la misère et l’oppression.
Pour se rendre à Jbîl, il faut passer par une agence de voyages de Douz, seule à organiser une telle excursion et à entretenir un campement sous cette latitude-là.
Au sortir de Douz, direction sud-ouest, on entre pour ainsi dire dans le vif du sujet en s’engageant presque tout de suite dans une piste tantôt sablonneuse, tantôt caillouteuse. Inutile de préciser que là commencent aussi les secousses –avis aux vulnérables du dos. On continue ainsi dans un paysage incertain où alternent étendues caillouteuses et bancs de sable sur une distance de 38 km. A ce niveau, on atteint un relais installé à un croisement de pistes dont celle de droite conduit à Jbîl, à une quarantaine de kilomètres de là.
Au bout de huit kilomètres, on se met à longer un champ gazier avec base de vie, derricks et véhicules de gros gabarits. Rien à dire : un véritable spectacle que celui d’une station d’extraction d’hydrocarbure ou de gaz.
Un parc et un palace
Sur huit autres kilomètres, la piste sera alternativement bondissante ou sinueuse, caillouteuse ou sablonneuse, avec, par-ci par là, des touffes de plantes épineuses ou, plus spectaculaires en dépit de leur fragilité, les haies de palmes séchées fichées dans le sol sur des kilomètres par la Troupe pour retenir le sable et freiner l’avancée du désert. A un nouveau croisement de pistes, voici le Café du Parc ! Mirage du désert ? Pas tout à fait. Portant votre regard vers l’horizon, à droite, vous apercevrez une clôture qui s’étire indéfiniment. C’est le parc naturel de Jbîl. A votre grande surprise, vous remarquerez que le tronçon qui conduit à l’entrée du parc est bitumé. Rien que ce tronçon. Mystères du désert !…
L’entrée du parc national naturel de Jbîl se situe à 13,5 km de là. Allure de forteresse, barrière, chiens sans laisse, gardien pas très accueillant. L’endroit mérite bien son appellation arabe de mahmiya, «protégée». Mais qu’y a-t-il à protéger, ici ? On peut le savoir en visitant le petit écomusée aménagé tout près de l’entrée, fort bien fait mais si mal entretenu… Quant à l’enclos voisin qui est censé accueillir quelques spécimens de la faune locale, il est désert. Enfuies, les bêtes, paraît-il !
Ce parc est le plus grand de Tunisie. Il s’étend sur plus de 320 mille hectares. C’est, en principe, un sanctuaire pour les dernières espèces végétales et animales du biotope désertique tunisien. Des points d’observation permettent (sur autorisation de la Direction générale des forêts) de voir gazelles dorcas ou outardes houbaras, à moins qu’il ne s’agisse de vipères à cornes, de scarabées du désert ou d’aigles de Bonnelli.
Au-delà du parc, donc, revoilà la piste. Ce n’est pas déplaisant du tout car, à partir d’ici, on tourne le dos à la «civilisation. C’était bien notre objectif.
En longeant sur quelques kilomètres encore la clôture du parc, on voit apparaître des dunettes que le vent s’amuse à déplacer au gré de son humeur, mettant à nu le socle rocheux sur lequel elles glissent comme des reptiles. Seulement 7 kilomètres de ce régime-là et voici qu’apparaissent les véritables premières dunes qui barrent l’horizon. Un moutonnement de vagues roses qui vous annonce l’entrée du royaume de la magie. Ici, vous êtes priés de déposer le fardeau de vos soucis citadins, des servitudes de la quotidienneté pour vous immerger dans l’absolue sérénité de mère Nature. Au début, vous êtes un peu perdu, mais, rapidement, sous l’envoûtement de l’ineffable, vous entrez en osmose avec le milieu. Vous en prenez progressivement possession et vous vous déployez en lui.
Il y a, bien sûr, la base de vie, un modeste local en dur pour le service, nécessairement saharien, avec galette quotidienne cuite dans le sable, il y a les tentes pour l’hébergement et il y a l’immensité désertique et l’infini céleste pour vous accueillir. Un véritable palace à des milliards d’étoiles avec, le soir, une vue imprenable sur l’univers.