Combler nos brèches intérieures

Octobre Musical : Liturgie du son pour violoncelle seul, récital de Jean-Paul Dessy

«Mélodie sérieuse et grave. Elle a le pouvoir d’élever l’esprit dans une sphère particulière, de le frapper d’admiration et de l’inciter à l’admiration». C’est par ces mots que Nichelman, élève de Bach, avait décrit Sarabande, la cinquième suite pour violoncelle seul, l’œuvre incontournable de son maître. Des siècles après, ces airs conservent ce même pouvoir d’«élévation» et «d’admiration». La danse lente et berçante a été jouée par le Belge Jean-Paul Dessy, vendredi dernier, à l’Acropolium de Carthage. Des six suites pour violoncelle seul de Bach, le musicien a encore choisi Le Prélude, le mouvement le plus célèbre…

Avec une grande justesse et une sensibilité à fleur de peau, le violoncelliste a su surmonter les difficultés de ces suites et a pu offrir, ce soir-là, à l’Octobre musical, une liturgie du son d’une rare beauté… Mais les suites de Bach n’ont pas été les seuls morceaux à susciter autant d’émotion.

Dessy a inséré dans son récital ses propres compositions : Sophonie (2005), Baruch (1998), Exodus (2007) et Amos (2006). Des pièces qui «s’inscrivent dans cette filiation sacrée selon laquelle la musique est le signe audible de l’inaudible», selon le musicien. A chaque morceau, une histoire, une vibration, un message secret : «Sophonie» est née de la rencontre entre sophia, la sagesse, et onyx, pierre métaphoriquement assimilée à la lumière.

C’est en frottant les cordes que l’artiste a traduit «la sagesse de la lumière». Il fait se répandre des sons, doux et fluides, qui coulent de source. La voix intime et pénétrante du violoncelle s’est fait aussi entendre à travers Baruch, un morceau composé à la demande d’un aumônier des artistes à la Cathédrale des Saints Michel et Gudule de Bruxelles: «Sans cette commande, je n’aurais peut-être pas eu l’audace ni la liberté d’aller vers cette musique», confie l’artiste. Une phrase l’avait retenu «J’aplanirai les montagnes». Elle lui a inspiré ses notes volantes et, en même temps, «écrasantes»…

Quant à Exodus, elle a été écrite pour l’opéra St Kilda: «C’est la synthèse de deux solos de violoncelle se situant à deux moments clés de cet opéra, qui évoque l’exode d’une petite communauté d’humains forcés de quitter leur île au grand large des Hébrides extérieures, paradis qui, peu à peu, leur est devenu un enfer», explique-t-il. Les cordes vibrent, racontant la souffrance et le déchirement… Elle met en musique la quête du Paradis perdu.

Le dernier morceau, Amos, est une danse des dieux. «Orphée, le héros apollinien de la musique — équilibre, mesure et harmonie — joue une sonate en duo avec Marsyas, qui incarne dans la mythologie le débordement des sens, la jouissance», explique encore l’artiste. Le duo a fait resurgir le silence intérieur et une jubilation sonore exceptionnelle.

A travers Amos, Dessy voulait rebâtir les ruines et combler les brèches. «Il s’agit de nos brèches intérieures, nos blessures, nos manques…», explique-t-il.

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