Comme un titre d’album !

La 11e session du festival de la Médina de La Manouba—«Raq ennassim», concert de Rihab Sghaïer

La soirée de Rihab Sghaïer, qui s’est tenue, mercredi dernier, au festival de la Médina de La Manouba, laisse, comment dire… perplexe ! On se demande pourquoi les jeunes chanteurs tunisiens, au lieu de s’affirmer en tant qu’artistes à part entière, continuent de mimer les « divas » et les « ténors ». Pourquoi s’acharnent-ils à produire des copies des chefs-d’œuvre classiques, au lieu d’essayer d’en créer de nouveaux qui répondent au mieux à leurs spécificités vocales ? Les soirées placées sous l’étiquette du« tarab » deviennent un cliché des festivals de la médina.

Ces concerts, à la « fast-food », sont peut-être faciles à préparer, mais ils sont indigestes à la longue. On tire du répertoire classique des maouels, des waslas, des noubas, sélectionnés parmi les plus connus. On y ajoute des taqtouqa et quelques tubes éternels. Et la recette est prête à l’emploi. Peu importe si le public, nostalgique en général, applaudit plus la chanson que le chanteur. Peu importe s’il chante à gorge déployée, dominant parfois la scène. L’important, c’est de lui plaire et par tous les moyens. On oublie souvent qu’un chanteur n’est pas uniquement une voix, c’est surtout une personnalité qui s’affirme à travers ce qu’il interprète.

Heureusement, dans « Raq ennessim », Rihab Sghaïer n’est pas tombée dans ce piège de la chanson «préfabriquée ». Son programme est bien fignolé : une première partie consacrée au répertoire oriental classique, une seconde aux chansons tunisiennes et, au milieu, Sghaïer a placé sa propre chanson « Jana Rabiâ », avec laquelle elle a participé, en 2005, au festival de la chanson tunisienne. Après une introduction musicale où l’on interprète en notes «Chams el assil » de Oum Kalthoum, Rihab Sghaïer, avec sa voix profonde, a enchaîné avec « Bi ridhak », «El Reda wa nour», « Al qalb yaachak kolli jamil», ainsi qu’avec un samaï sika de Abdou Saleh, un maouel «Y a Dirti », un chant spirituel «Ya ilahi talebna ridhak », pour revenir à «Lilet el aïd » de Oum Kalthoum.

Puis, Rihab a changé de cap et a offert au directeur du festival de La Manouba une nouba El khadhra.

Du patrimoine tunisien, elle a encore choisi une wasla dans le mode mazmoum, «Na Nassehek y qalb », «Idha tghib alya», «Belleh y a h’med ya khouya », «Slek Najaak»… Clou de la soirée, «Alif y soultani»… En ravivant ce répertoire tunisien, la chanteuse paraît dans son élément, décontractée et touchante. Mais c’est surtout en interprétant sa chanson «Jana Rabîa» que Rihab fait éclore sa sensibilité à fleur de peau. Le manque d’audience (environ une trentaine de spectateurs) ne l’a pas empêchée de donner le meilleur d’elle-même. Elle a su jouer sur la corde sensible de son public et créer ainsi une belle ambiance.

Depuis une quinzaine d’années, Rihab essaye de s’imposer dans le monde artistique tunisien : elle a reçu, en 2008, le 1er Prix de la meilleure production spécifique au festival de la musique tunisienne. Elle a aussi collaboré avec Salah Mehdi, Hamadi Ben Othmane, Noureddine Sammoud, et les regrettés Samir Ayadi et Hsouna Gassouma. Elle a un talent qui mérite d’être mieux exploité. Il est temps pour cette jeune chanteuse de déployer ses vraies potentialités en se retroussant les manches et en travaillant dur pour créer un répertoire personnel, à l’image de sa belle voix, sa présence et son charisme. Elle en est bien capable.

« Raq ennessim » sonne comme un titre d’album plutôt que comme celui d’un concert.

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