Des élèves qui ont écrit l’histoire de la Tunisie

Célébration du 135e anniversaire du Collège Sadiki

Habillés en burnous, coiffés d’une chéchia, certains sont assis en tailleur, les autres sont allongés sur le côté. C’est ainsi que les élèves du collège Sadiki, vers la fin du XIXe siècle, posaient pour les photos de classe.

Posture élégante et allure fière, ces élèves pétillent sur ces photos, exposées, dès le 10 mai 2010, au lycée Sadiki à l’occasion de la célébration du 135e anniversaire de ce prestigieux établissement éducatif. «Le lycée Sadiki est un lieu magique. Il est important que les jeunes, les enseignants, les administrateurs…bref, toute personne qui franchit chaque matin ses portes connaît l’histoire incroyable de ce lycée hors norme», explique Habib Hazgui, directeur du lycée. D’où l’objectif de cette manifestation.

Photos, documents, portraits, citations constituent le contenu de cette exposition. Le directeur prend un plaisir fou à feuilleter un album botanique confectionné, en 1902, par les élèves de l’époque. Il montre, aussi émerveillé, un agenda, beau telle une calligraphie, écrit d’une main sûre et équilibrée, où sont notés les comptes rendus des sorties de groupes, faites à Nabeul en 1902 ou à Zaghouan en 1901, à Sidi bou Saïd ou à Carthage… «Les élèves se déplacent à pied, en relevant tous les détails et en se prenant en photo», déclare-t-il.

Plusieurs documents décrivent ainsi le comportement sans reproche de ces élèves modèles, calmes et «silencieux et appliqués dans leur besogne». «Le surveillant général se contente de passer d’une étude à une autre, plutôt pour diriger les élèves dans leur travail que pour assurer la discipline, car il n’y en a pas à faire (…) Depuis l’ouverture de la nouvelle Sadikia, c’est-à-dire depuis huit ans, pas une seule inscription sur les murs, pas une seule entaille aux tables, pas une seule tache d’encre sur les planchers.

Tout est aussi propre et aussi net que le premier jour», d’après Louis Pierre Machuel (1848-1922), directeur de l’enseignement public.

Sur les murs du lycée, seront accrochés des portraits d’une génération de l’élite politique, culturelle et scientifique tunisienne. Y figurent les leaders du mouvement de libération nationale, Habib Bourguiba, en premier, les fondateurs du parti du Néo-Destour et environ soixante-dix ministres.

Le collège Sadiki a formé aussi le premier médecin tunisien, Béchir Dinguezli, le premier journaliste, Ali Bouchoucha, le premier animateur radio, Abdelaziz Laroui, le premier homme de théâtre, Ali El Khazmi Fraj… et la liste est longue.

Une vie, une histoire

Le général Kheïreddine, en 1875, alors Premier ministre, avait proposé au bey Mohamed Essadok, souverain de la Régence de Tunis, la création d’un établissement permettant aux jeunes Tunisiens de se préparer aux carrières libérales et administratives. Mission aujourd’hui accomplie.

Le collège fut fondé et installé à la rue de l’Eglise, à la médina de Tunis (l’actuelle rue Jemaa-Ezzitouna) dans un grand immeuble construit sous le règne de Hammouda Pacha. Le nouveau collège a démarré avec 150 élèves, sélectionnés au hasard, 50 internes et 100 demi-pensionnaires, tous boursiers.

«Les internes devaient être entièrement habillés, nourris et blanchis aux frais du collège, tous les élèves, sans exception, devaient recevoir les livres et les fournitures classiques», témoigne encore Louis Pierre Machuel. A cette époque, les élèves étaient libres de choisir, à leur entrée au collège, le français ou l’italien comme langue européenne, mais la majorité suivaient les cours de l’enseignement arabe.

Après une période de crise, le directeur de l’Enseignement s’efforce, en 1883, de mettre un peu d’ordre dans le chaos. Les méthodes d’enseignement qui étaient en usage furent profondément modifiées. Un nouveau règlement fut élaboré. On enseigne le coran, la grammaire arabe et celle française, le calcul oral et écrit et le système métrique…

A partir de 1883, l’enseignement français avait été principalement dispensé d’après les programmes des brevets de capacité de l’enseignement primaire français. Un certain nombre d’élèves sont placés à la tête de plusieurs postes. En 1887, le collège envoya même Béchir Dinguezli faire des études de médecine à l’Ecole d’Alger puis à la faculté de Médecine de Montpellier….

Nouveau local, nouvelle génération

En 1890, au moment de la transformation du collège Saint-Charles en lycée, on projeta de fusionner le Collège Sadiki avec le nouvel établissement qui reçut à cet effet le nom de Lycée Sadiki. Le projet fut très vite abandonné avec la nomination, en 1892, de M. Delmas, le premier Français à la tête de la direction de l’école. Le programme des cours fut encore changé et on y ajouta des cours spéciaux de traduction, de droit administratif et de jurisprudence musulmane.

Cependant, l’œuvre de la réorganisation de la Régence poursuivie par le Protectorat s’achevait peu à peu. L’Etat a décidé donc de modifier de nouveau l’enseignement afin de préparer les élèves tunisiens à des carrières ou des professions nouvelles en dehors des emplois administratifs. Le collège fut donc transféré, en 1897, dans l’établissement actuel qui s’adapte mieux aux besoins de l’Etat.

Dans le nouveau local, on a aménagé un laboratoire de chimie, une classe de physique, une salle de dessin, une bibliothèque… «Certains de ces équipements et quelques meubles de l’époque ont survécu jusqu’à aujourd’hui», observe le directeur. Le jardin aussi a survécu. Un jardin qui, lors de sa création, a initié à toutes les opérations de jardinage : terrassements, nivellements, plantations, greffages… La pratique vient compléter l’enseignement théorique qui est donné dans les cours de chimie et de botanique.

Malheureusement, un seul album de botanique a été trouvé ainsi qu’un seul agenda de sortie de groupes. «De ces 135 ans d’existence, il ne reste presque rien», nous confie un archiviste, mobilisé depuis presque une année à ramasser, à classer et à répertorier les tas de documents repêchés dans les coins et recoins de l’école.

En collaboration avec le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine et le ministère de l’Education, il a aménagé un espace pour le tri et le traitement des papiers retrouvés. Pour cette charge très délicate, il y a deux archivistes professionnels, engagés à temps plein. «Nous essayons de sauver le peu que nous possédons et c’est déjà beaucoup», insiste le directeur.

Le public découvrira donc des merveilles oubliées depuis des siècles dans les casiers de classe, comme la beauté angélique, aujourd’hui dépoussiérée, de ces élèves studieux qui ont écrit l’histoire de la Tunisie.

Leave a Reply