Rencontre avec Moncef Souissi, le fondateur des JTC
«J’ai rêvé des Journées théâtrales de Carthage du temps où je résidais dans les pays du Golfe», commence par raconter le fondateur des JTC, Moncef Souissi. Pendant cinq ans, il a vécu comme un «Sindbad» tissant des liens avec des metteurs en scène sur les côtes de la mer Rouge et de l’océan Indien. Il rêvait d’une ville complètement inondée par le théâtre.«Une sorte d’Avignon à Tunis», précise Souissi. Il voulait, comme Jean Vilar, «redonner au théâtre un lieu autre que le huis clos (…) ; faire respirer un art qui s’étiolait dans des antichambres, dans des caves, dans des salons; réconcilier enfin architecture et poésie dramatique» (selon l’historique du festival d’Avignon).
A peine rentré à Tunis, Souissi met en chantier le projet et commence par fonder le Théâtre National. En se référant encore à Vilar, il voulait que les JTC soient l’affaire d’une seule équipe, d’un seul lieu (la maison de la culture Ibn-Rachiq à l’époque) et d’une seule âme. «Les JTC, à leurs débuts, étaient conçues comme une des activités du théâtre national favorisant l’échange et la création d’un espace international pour la rencontre du public du théâtre».
Après trois sessions (de 1983 à 1987), les JTC sortent du cap du Théâtre National et prennent leur envol. Une grande déception pour Souissi.
«Ce détachement nuit à la qualité du festival car une programmation de haute facture nécessite pas moins d’une année de préparation. Il est donc difficile pour un directeur, nommé six mois avant la manifestation, de pouvoir créer l’événement. Dommage!», précise encore Souissi. Et d’ajouter : «J’ai remarqué que la programmation de cette année est plus riche que celle des trois précédentes sessions. Mohamed Driss, qui est aussi directeur du Théâtre National, a-t-il appris des erreurs passées?».
Peu importe les noms, peu importe le concept, l’essentiel pour Souissi c’est d’arriver à enrichir cette manifestation nationale et de ne pas l’appauvrir : «On a besoin du théâtre, aujourd’hui plus que jamais».
Les JTC, tel l’arbre qui cache la forêt, masquent un énorme vide artistique. «Ce n’est pas propre à la Tunisie. Tous les pays arabes en souffrent», précise-t-il. Partout, le même constat : le public boude le théâtre.
Pourquoi ? Souissi jette la pierre d’abord à cette société qui ne forme plus le public du théâtre. «Il n’y a plus de critique, il n’y a plus de théâtre scolaire, ni universitaire et si ces derniers font défaut, tout le théâtre amateur s’effondre et avec lui, le théâtre professionnel».
Il accuse également les créateurs, ceux qui «n’arrivent pas à user de tout leur savoir pour séduire les spectateurs et pour les inciter à sortir de chez eux et à dépenser de l’argent, juste pour le plaisir de les regarder jouer», précise Moncef Souissi. Un bon théâtre, selon lui, est celui qui sait parler à l’être humain, évoquer ses soucis et ses rêves…
Toujours faim et soif de ce «bon théâtre», Moncef Souissi attend avec impatience les JTC. «51 ans de métier et j’apprends toujours des pièces que je regarde, même celles que je n’apprécie pas particulièrement. Le bon théâtre me donne envie de créer et surtout de rêver encore et toujours…»