Des phonographes attendent leur musée

Au fond du musée des instruments de musique d’Ennejma Ezzahra, derrière les portes fermées à clé, se trouve, depuis des années, une merveilleuse collection de phonographes. Soixante appareils, aussi beaux les uns que les autres, attendent d’être restaurés et puis exposés. «Mais avant cela, il faut d’abord aménager l’espace et créer une nouvelle scénographie pour le musée», nous explique Mounir Hentati, responsable au Palais du Baron d’Erlanger.

Du bout du doigt, ce dernier met en marche une de ces machines et la voix de Habiba M’sika retentit, comme par magie, dans l’espace étroit qui sert de réserve. Pour baisser le volume, Hentati pivote les battants de la caisse en bois ciré. «C’est ensorcelant !», s’émerveille-t-il. Selon lui, mettre en valeur ce patrimoine, à la fois matériel et immatériel, nécessite une recherche approfondie pour mieux apprécier sa beauté visuelle et sonore.

Ces rares spécimens d’appareils de reproduction du son fixés sur cylindre, sur disque, sur fil ou sur bande magnétique, et dont la majorité provient de la collection privée de Habib Boughrara, peuvent être répartis en trois grands ensembles : d’abord, il y a des phonographes à cylindre actionnés manuellement, dont un dictaphone. Ensuite, on trouve des phonographes à disque (78 tours/mn à enregistrement mécanique), et enfin des appareils de lecture à alimentation électronique.

Ancêtres du CD et du MP3, ces machines retracent l’histoire de la reproduction sonore au cours de la première moitié du XXe siècle.

Rappelons que l’introduction et la diffusion, à une échelle relativement large, des phonographes à disque (78t /mn) semblent coïncider avec l’apparition des premiers enregistrements commerciaux arabes puis tunisiens, aux alentours de 1904. La première compagnie discographique s’appelait Gramophone, installée en Tunisie en 1908. Elle a pu réaliser, en deux ans, 180 enregistrements.

Il est important de savoir que les premiers diffuseurs de disques sont eux aussi les premiers vendeurs de phonographes. Parmi eux, nous citons les frères Bembaron, Joseph Naracci et Béchir R’saïssi. A cette époque, les Tunisiens étaient de grands consommateurs de musique. En 1925, par exemple, 38,1 tonnes de phonographes et de disques étaient importées de France pour la Tunisie.

Autre indicateur de cette frénésie artistique, la vogue des cafés qui proposaient l’écoute de ces disques, contre une petite augmentation du coût des consommations, tels que les cafés Onk, Stambouli, Blom…

Le Tunisien a donc une histoire particulière avec ces machines qui lui ont ouvert la porte de l’art et du rêve. Créer un musée de phonographes plongera le mélomane dans un passé pas très lointain au charme particulier.

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