Théâtre – Journée d’étude sur le théâtre tunisien et l’histoire du mouvement national à l’ISHMN, à La Manouba
«Nous sommes la progéniture d’une génération de combattants et nous sommes les héritiers d’une grande culture. Sauf que, sans une stratégie sérieuse pour la conservation de la mémoire nationale et des archives, on risque bien de l’oublier et très vite…», a relevé Moncef Souissi lors d’une journée d’étude organisée, mercredi dernier, à l’Institut supérieur de l’histoire du mouvement national (ISHMN), à La Manouba.
Le metteur en scène est appelé à témoigner d’une époque où on luttait contre l’occupation française aussi bien par les armes que par le théâtre. Il a brossé le portrait de son père, Ezzeddine Souissi, décédé le 5 mars dernier, à l’âge de 88 ans, qui, durant toute sa vie, s’est fixé pour devise «plume, scène et prison pour l’amour de la patrie ». «Mon père, comme plusieurs autres artistes, s’est jeté dans la gueule du loup. Il s’en est sorti gagnant, car, par cet assaut héroïque, il m’a appris à être responsable et à comprendre le vrai sens du mot citoyen», ajoute Moncef Souissi.
Plusieurs chercheurs, universitaires, artistes se sont donc réunis pour raviver la mémoire d’un art qui a toujours été le cœur battant de la société, un moteur politique par excellence. «Le théâtre tunisien et l’histoire du mouvement national», fut le thème de cette rencontre.
On remonte le temps, jusqu’au début du XXe siècle, lorsque les troupes théâtrales étrangères s’emparaient des scènes (du Théâtre municipal de Tunis en 1902, puis du théâtre Rossini en 1903) avec des pièces qui attiraient les jeunes et séduisaient les créateurs. Des troupes avaient vu le jour et on créa Ennejma en 1908 grâce à l’émergence de férus du quatrième art tels que Ahmed Bouleymane, Béchir Khangui et Hédi Larnaout. L’arrivée de la troupe égyptienne »El Jaouk El Masri » avait préparé le terrain pour la fondation de la troupe tuniso-égyptienne dont l’une de ses premières productions fut Sincère fraternité.
Un véritable mouvement théâtral tunisien se lançait dès cette période avec la tunisification» des textes pour des objectifs bien déterminés. Certains affirment que le texte théâtral tunisien était étroitement lié à l’histoire nationale et arabo-islamique, en évoquant des concepts spécifiques et bien ciblés comme celui »d’ezzaama » (dans le domaine politique), de «leader militaire », (dans celui de l’armée) et »al imama » (quand il s’agissait du domaine religieux). A cette période, plusieurs dramaturges s’adonnaient d’ailleurs à des activités politiques, comme notamment Mohamed Jaïbi, qui faisait partie des réformateurs, Mohamed Lahbib et Zine El Abidine Snoussi, qui appartenaient au parti du Destour, à l’instar de l’ensemble des écrivains et des poètes à cette époque. Les associations théâtrales émergeantes étaient toutes une source de diversité théâtrale étonnante et avaient marqué les activités artistiques locales et nationales depuis les années 20, en alliant théâtre historique, humour et politique…
Armes et paroles
L’histoire du théâtre et le rôle qu’il joue dans la vie politique ont donc éveillé la curiosité : «Comment le théâtre tunisien avait pu survivre au temps des crises les plus dures de l’histoire de la Tunisie, comme l’affaire de la Zitouna en 1910, l’affaire du Jallez en 1911 et le boycott des tramways tunisois en 1912 ? Comment les metteurs en scène avaient-ils réagi à ces évènements sanglants ?», demande Mohamed Messaoud Driss. Ce chercheur à l’ISHMN a mis en exergue le rapport de force qui existait entre l’élite tunisienne d’un côté et le colon français de l’autre.
Mis ainsi sous la loupe, le théâtre de ces années d’occupation a été observé de différentes manières. Moncef Charfeddine le considère comme «l’outil de motivation favorisant par excellence l’éveil populaire et la résistance nationale». Cet acteur principal du mouvement tunisien de théâtre, également figure de proue du 4e art, a évoqué les conflits socio-politiques et culturels qui ont régné en ces années de résistance. Il a parlé de toutes ces personnes qui avaient mené la guerre avec autant d’armes que de paroles. Dans ce même contexte, l’universitaire Ridha Bouqadida a focalisé ses recherches sur les œuvres des artistes de Taht Essour (sous les remparts) et en particulier sur les écrits de Ali Douagi. «Pourquoi, dans les écrits des intellectuels de Taht Essour, ne trouve-t-on pas de trace à propos de la prise de conscience de la cause nationale?». Une question qui a suscité beaucoup de réflexions, minutieusement traitées et développées au cours de l’intervention de Bouqadida
Abdelmoneem Choueyett, quant à lui, s’est intéressé aux sourds et à leurs productions théâtrales. Il a surtout insisté sur leur droit à connaître l’histoire de leur pays. A travers cet hommage rendu au 4e art et aux militants du mouvement national, les chercheurs ont réussi à ressusciter un passé qui constitue aujourd’hui la fierté de tout Tunisien.