Ouverture du festival de musique électronique E-Fest à l’Acropolium de Carthage
De la cathédrale Saint Louis a émané, vendredi dernier, une musique du futur. A travers une exposition qui a donné le la à la troisième session du festival de musique électronique E-Fest, des artistes ont présenté le fruit de leurs recherches sonores. Des rythmes bizarres se sont propagés, en échos, dans l’immensité de cet espace. Fini le temps où l’on grattait les cordes pour faire couler les notes, où l’on frottait l’archet pour faire gémir les mélodies…
Il suffira, demain, de glisser la main au milieu de sortes de sphères lumineuses pour déclencher des sons et des lumières.
Deux musiciens ont joué une performance de 40 minutes sur un instrument constitué de sept sphères métalliques séparées en deux par le milieu et dont chacune produit un son quand la main se glisse à l’intérieur. Les artistes sont placés face à face et la musique vient en même temps que les mains et les pas se croisent. Très concentrés, ils ont mis en forme leur propre espace sonore qui n’est autre qu’un mixage de rythmes, de «nappes» et de voix. Ces artistes seront peut-être les pionniers d’un genre de musique électronique naissant, les premiers à instaurer une nouvelle technique de jeux instrumentaux !…
Le public est invité à composer, lui aussi, sa propre musique. Trois casques sont mis à sa disposition lui permettant de s’isoler et de créer à son aise. Des éclats de rires se font entendre, de part et d’autre de la cathédrale. L’instrument amuse sans aucun doute. Mais plusieurs restent dubitatifs face à ces possibilités acoustiques et quant à leur avenir.
Toutefois, comme dit Baudelaire : «Plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau». Notons que cette installation interactive a été réalisée par Iulia Popa et Adrian Tabaracu, qui se sont inspirés de la célèbre peinture surréaliste de René Magritte «La voix de l’espace» de1928, qui interroge la gravité via d’énigmatiques objets sphériques projetés dans un vaste ciel bleu. Cette installation donne comme une illustration, en son et forme, à «ce mystère insaisissable, insondable qu’évoquait Magritte à propos des ses peintures surréalistes».
Regarder des poules picoter
Autre curiosité, le Pizzi K poule. Il s’agit d’une installation composée de trois poules «tunisiennes», précise un des membres du groupe Livescape qui a en charge cette partie du spectacle. Il ajoute : «Malheureusement, on n’a pas pu amener nos «artistes» et notre célèbre star, la poule blanche, spécialement entraînée pour la scène. Le show est donc incomplet». Les artistes se sont débrouillés avec ce qu’ils avaient sous la main pour ne nous donner qu’une vague idée de leur expérience inédite. Le principe est simple: en picorant des graines éparpillées sur une plaque électronique, les poules composent de la musique sur un fond musical monocorde. Cette «performance volatile» est souvent exploitée pour enrichir l’espace sonore.
Le groupe Livescape a la particularité d’utiliser et de détourner les éléments naturels pour en faire des concerts atypiques riches en expérimentations. «Sur scène, les artistes lancent un peu de nourriture aux poules pour qu’elles dévoilent comme par magie leurs talents d’interprètes, musiciennes, chorégraphes, chanteuses», raconte encore l’artiste… On aurait aimé assister à un concert de ce genre plutôt qu’à une simple performance qui a été ennuyeuse à la longue. «On avait juste voulu savoir combien de temps un public pouvait rester immobile à regarder des poules picorer», plaisante Afif Riahi, fondateur de E-Fest. Une remarque qui laisse perplexe. Mais, peu importe, la découverte était bien là.
La dernière installation, Hiddenlines and Spaces, est celle de Ali Tnani et Johanna Gampe. Le public devrait gravir l’escalier en colimaçon qui amène à l’étage de la Cathédrale pour découvrir un autre univers de sons et de lumières. Le visiteur pénètre par une fente disposée dans un tissu sombre qui couvre la cage d’escalier. Il plonge alors dans un tourbillon sonore. Au fur et à mesure qu’on grimpe les marches, des sons envahissent l’ouïe. Chaque visiteur, en s’approchant de la fenêtre sonore, fait disparaître les sons, tandis que le prochain visiteur les fait réapparaître de nouveau. Ces sons deviennent alors tellement encombrants qu’ils donnent l’impression de pousser les corps malgré eux vers un inconnu inquiétant.
La course mystérieuse s’achève dans une chambre noire, là où une voix de femme se mêle au manège sonore. Elle lance des phrases, dont la cadence est rythmée par le flux des visiteurs. Ses paroles n’ont ni début ni fin, elles sont accentuées par des rires, des éclats de colères, des questions et des réponses… Hiddenlines and Spaces s’était déroulé, au cours de ces dernières sessions, aux jardins de l’Acropolium, cette fois, Ali Tnani et Johanna Gampe proposent la création d’un espace privé qui cherche l’intimité entre la foule et la solitude et entre le silence et le son.
A chaque session, l’association Echos Electrik essaie d’exploiter de nouvelles expériences basées sur la multiplicité des courants de la musique électronique. Réunissant les univers de la musique, de l’image, du spectacle et des arts numériques, E-Fest propose de s’évader dans un univers encore méconnu, celui de l’art du futur.