Jugurtha, nouvelle création de Abdelmagid Lakhal
«J’entreprends d’écrire l’histoire de la guerre que le peuple romain a faite à Jugurtha, roi des Numides, d’abord parce qu’elle a été cruelle, sanglante, marquée par bien des vicissitudes, ensuite parce qu’elle est devenue le point de départ de la lutte contre la tyrannie des nobles, lutte qui a bouleversé toutes choses divines et humaines et mis un tel délire dans les esprits…», avait écrit l’historien romain Salluste dans La guerre de Jugurtha, l’œuvre de référence essentielle, pour ne pas dire unique, qui rapporte presque en détail le conflit entre Rome et Jugurtha.
Vendredi dernier, sur la scène de la maison de la culture Ibn-Rachiq, Abdelmagid Lakhal a raconté cette histoire à sa manière.Il a décrit un vain combat pour la liberté et contre l’oppression. La pièce s’intitule donc Jugurtha, révisée pour le texte par Ezzeddine Abassi et jouée par Haddad Bou Allègue, Abdellatif Kheïreddine, Sadok Halwass, Hssouna Majri, Yahia Feïdi, Nawfel Abdawi et Salem Laâbidi.
Arrière-scène lumineux, les sept acteurs, vêtus de longues capes sombres, se mettent en demi cercle, dos au public. Le noir camoufle les corps, ne laissant paraître que des ombres. Il est comme un rideau à travers duquel se détachent les personnages comme des fantômes qui se décollent d’un mur. Ils prennent forme et racontent l’histoire fabuleuse de Jugurtha.
Un narrateur esquisse d’abord le fil conducteur de l’histoire, soutenu souvent par les voix des acteurs qui récitent en chœur des répliques redondantes Jugurtha est le petit-fils du roi numide Massinissa qui fut un grand allié de Rome durant les guerres puniques. Il est adopté par son oncle Micipsa (successeur de Massinissa).
Ce dernier, voulant se débarrasser de son neveu, l’envoie en Hispanie (actuelle Espagne). Mais Jugurtha gagne la bataille. Mieux, il se fait remarquer aussi bien par les Romains que par les troupes adverses. Salluste lui-même reconnaît «qu’il était à la fois intrépide dans les combats et sage dans le conseil, qualités qui vont rarement de pair»…
Il en résulta que Scipion prit l’habitude de charger Jugurtha de toutes les entreprises dangereuses…
Après la mort de Micipsa, le royaume numide fut partagé entre ses fils Adherbal et Hiempsal et son fils adoptif Jugurtha qui, insatisfait de la gouvernance de ses cousins, fait assassiner Hiempsal et ensuite Adherbal. Il s’empare de la cité de Cirta, appartenant au cousin échu et massacre les commerçants romains qui s’y trouvent. Il déclare ainsi la guerre à Rome.
Les tableaux se succèdent, lents, trop lents ! On découvre d’abord un Jugurtha fou d’amour pour Karmen, descendante de Numance, qu’il livre pourtant aux Romains. A sa bien-aimée, le héros a promis la victoire contre Rome… On rencontre ensuite un Jugurtha, qui essaye de trouver un terrain d’entente avec Adherbal… Ce Jugurtha paraît «gentil» malgré les apparences (à l’opposition peut-être de l’image du «méchant» suggérée par le romain Salluste). Un «gentil» guerrier qui tente, quand même, et par tous les moyens, d’acheter une Rome où «tout était à vendre»… Il commence par corrompre le sénat romain caricaturé par deux acteurs. Puis la guerre s’annonce par le roulement des tambours.
Cette guerre, Abdelmagid Lakhal l’illustre par le claquement des pieds sur les planches (une représentation primitive de la marche des soldats). On ne s’attarde pas à la décrire. Pas de cri, ni de sang…Aucun effet sonore susceptible de faire plonger le public corps et âme dans l’ambiance de la guerre de ce drame historique…La pièce se base essentiellement sur le texte et le jeu des acteurs…
Il est vrai que Lakhal, avec beaucoup de volonté et peu de moyens, a voulu servir notre histoire. Un effort à féliciter sans hésiter. Sauf que la pièce, ainsi conçue et montée, reste froide et ne communique pas assez d’émotions !