Les prolongements dans le futur

Séminaire sur «Tahar Haddad, entre hier et aujourd’hui», au club Tahar-Haddad

«Am El Hédi, un des principaux personnages du livre Mémoire vivante, paru, il y a quelques années chez Céres, raconte que les Tunisiens des années 30 croyaient profondément à l’influence de la nouvelle génération d’intellectuels venue de France. Ces derniers avaient le pouvoir, contre toute apparence»,  a rapporté, lundi dernier, Kamel Omrane, chercheur universitaire lors du séminaire organisé par le club Tahar-Haddad, à l’occasion de la Journée mondiale de la femme. L’écrivain Mohamed El May, l’universitaire Amna El Ramli  Oueslati, le juriste Ridha El Ajouri et Kamel Omrane,  se sont donc réunis pour rendre hommage au penseur, au syndicaliste et à l’homme politique que fut Tahar Haddad.

Le débat s’ouvre sur l’environnement politique et culturel qui a favorisé l’émergence des idées progressistes de Tahar Haddad. «La lutte contre l’occupation française s’est manifestée par l’affaire du Djellaz en 1911 et le boycott des tramways tunisois en 1912.

Suite à ces deux crises, les Tunisiens ne considéraient plus les Français comme des protecteurs mais plutôt des colonisateurs», explique Mohamed El May. Le mouvement réformiste et intellectuel des Jeunes Tunisiens fondé en 1907 par Béchir Sfar, Ali Bach Hamba et Abdeljelil Zaouche a favorisé cette  prise de conscience .

Dès lors, le pays a vécu une réelle révolution. La presse nationale  a été interdite. Et plusieurs militants ont été condamnés ou exilés. Malgré cet acharnement français, le Mouvement national ne cessa pas de s’activer. Dès la fin de la Première-Guerre mondiale, Abdelaziz Thaâlbi a pris le relais et a préparé la naissance du parti du Destour. Tahar Haddad, en qualité d’adhérent, s’est occupé de la propagande.

«Taâlbi considère Haddad comme son successeur le plus fidèle», précise encore El May. Après le départ de ce dernier, Haddad a commencé sa longue lutte pour le modernisme. Il s’est engagé dans le mouvement syndical tunisien émergent. Il a fondé avec Mohamed Ali El Hammi en juin 1924, l ’Association de coopération économique et a participé à la mise en place de la Confédération générale des travailleurs tunisiens (Cgtt) en décembre de la même année.

En 1927, il  publie un premier ouvrage intitulé Les travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical où il présente un programme pour l’amélioration de la condition des travailleurs.

Pour une femme libre

A cette époque, des cafés et des salons culturels poussent comme des champignons (le café Khan Ali, le café Othmen Kaâk, Taht Sour…). La culture bouillonna dans tous les coins et recoins et les journaux, comme la revue El Alem el Adabi répond en échos les nouvelles idées. « Le livre du poète Abou Kacem Chebbi, L’imagination poétique chez les Arabes, est précédé par la parution audacieuse de Notre femme dans la charia et la société (1930). Le milieu littéraire et religieux était violemment secoué. Et la riposte fut dure», précise Amna El Ramli Oueslati.

Tahar Haddad présente dans son ouvrage son programme de réforme. Ses propositions en faveur de la condition féminine et de la réforme sociale en Tunisie ne reproduisent pas le modèle européen et elles s’accordent avec la charia. Dans cet ouvrage majeur, Haddad prend position contre les préjudices liés au statut des femmes et appelle à un retour à l’ijtihad. Il est convaincu que la religion islamique peut s’adapter à la modernité. C’est pourquoi, selon lui, une réforme sociale radicale s’impose.

«Ses idées essuient un vif refus de la part des franges  conservatrices de la société défendues par  Mohamed Salah Ben Mrad et Amor Berri Medani qui rédigent des textes contredisant la pensée de Haddad. Ce dernier fait l’objet d’une violente campagne de dénigrement de la part des membres du Destour et de la hiérarchie conservatrice de la Zitouna», ajoute encore El Ramli. La polémique entre modernistes et conservateurs atteint son apogée. Et Tahar Haddad fut empêché de poursuivre ses études à l’Ecole de droit de Tunis entamées en 1928.

Trois ans après cette publication, Haddad s’exile. Durant cette période, il est frappé par une crise cardiaque et meurt de la tuberculose le 7 décembre 1935 dans l’isolement le plus complet.

Un penseur d’exception

D’après Ridha El Ajouri, les idées de Haddad convergent avec celles du penseur égyptien Kacem Amin, auteur de La nouvelle femme et surtout de l’Imem Mohamed Abdou. «Je peux même avancer que Haddad a été complètement influencé par les idées de Abdou. Et je trouve ridicule d’idéaliser aujourd’hui  Haddad au point de le qualifier de personnalité dotée d’une capacité intellectuelle exceptionnelle qui est restée inégalée dans la société tunisienne depuis Ibn Khouldoun, il y a 600 ans».

Pour Kamel Omrane, Tahar Haddad n’est pas un «réformiste» comme étaient avant lui Kheireddine Pacha, Ibn Abi Dhiaf ou encore Mohamed Snoussi, «c’est un moderniste d’exception», avance-t-il. Ce sont les idées de Tahar Haddad qui ont été prises en compte lors de la conception et de la promulgation du Code du statut personnel le 13 août 1956. «Haddad a milité avec sa plume et son esprit, sa poésie et sa prose comme personne avant lui et personne d’autre jusqu’à présent […] Il a sacrifié sa vie pour défendre la liberté d’expression et de recherche», écrivait AboulKacem Mohamed Karou, dans son livre Tahar Haddad, paru en 1957.

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