Libres et libérés

Les faucheurs de l’inculture, de Mahmoud Bédoui

Les faucheurs de l’inculture de Mahmoud Bédoui est l’histoire d’un personnage étrange, rebelle et profondément romantique. Par le passé, il était «prince des oasis», à qui les fleurs, les fruits et les légumes offraient leurs plus belles symphonies. Au présent , il est «l’homme à la cigarette fumée, hier soir», à qui, Gafsa, Sfax, Tunis et Carthage, «dédient» leurs plus désolants paysages. Entre ces deux mondes, le lecteur oscille. Il est tantôt emporté par la beauté d’un rêve, tantôt choqué par la laideur de la réalité…

Sans être vulgaire, ni obscène, «l’homme à la cigarette fumée, hier soir» décrit son malaise, ou plutôt sa répugnance face à une certaine tradition considérée comme «sacrée». Il se dénude de toutes les «valeurs» acquises pour laisser ses sens esquisser le beau et le laid, le bon et le mauvais.

Ce livre est, comme l’a écrit dans la préface, Hamid Nahla, ancien professeur d’université à Casablanca, «un hymne à la liberté et à la vie . C’est un chant de la nature adressé à l’eau, à l’oasis, au Sahara, à la terre, à ses fruits et ses légumes et donc à cette Tunisie, mère, fille et sœur!».

Il est aussi un cri du cœur est lancé à travers les interdits et les tabous sociaux, culturels et politiques. Un cri pour la liberté de l’être humain. «L’homme à la cigarette fumée, hier soir» affiche sa différence, divulgue son envie de manger du poisson le jour de l’Aïd (jour du mouton) et sa honte face à l’agonie des plages et la misère des pêcheurs…. Mahmoud Bédoui raconte l’histoire de ce personnage en entremêlant les faits, les images et, parfois même, les personnages et les lieux.

Les êtres deviennent parfois des animaux, comme des «vautours» et des «chacals»… Les papillons deviennent anges et les grenouilles des solistes dans la symphonie de la «Datte endiablé»!… Ce professeur d’histoire et de géographie invite le lecteur à s’amuser avec les phrases et les mots, dans un style hybride à la fois lyrique et satirique. Il lui donne une occasion de se libérer de tout, de son corps et de son âme, pour flotter dans un imaginaire sans limites.

 Le duel…

Le «prince des oasis» possède son Jardin magique et sa Cité idéale. «L’homme à la cigarette fumée, hier soir» vit dans une grande maison avec sa femme aux formes rondes. L’un est comblé de bonheur, l’autre est accablé de malheur . Le premier est bercé par la musique, enveloppé par le doux parfum de la nature. Le second est ballotté par la cacophonie, suffoqué par l’air pollué des villes… Dans ce livre, «le passé rallume le nectar de la passion», affirme encore Hamid Nahla. Et la passion mène à la révolte. Il est, selon l’auteur de la préface, «une sonnette d’alarme voulant contribuer au progrès des humains, quels que soient leurs origines et leurs lieux d’existence. Le héros exige un véritable “dialogue des civilisations” pour chercher la “Cité idéale”, si chère aux philosophes».

Cette «Cité idéale» était considérée en Tunisie, au mois de mars dernier (la date de l’achèvement du livre), comme «une cité maudite». C’est donc en France que Les faucheurs de l’inculture — l’ouvrage que nous présentons — a vu sa première publication le 20 avril 2011. Il a été, d’ailleurs, porté candidat à sept des prix littéraires français les plus prestigieux, dont le Goncourt. Et comme cette édition est considérée trop chère pour le public tunisien (40 dinars), Mahmoud Bédoui a imprimé une deuxième édition en Tunisie, proposée à 18 dinars, seulement.

En publiant ce livre, cet ancien directeur des bibliothèques publiques réalise le premier pas d’un grand projet mené depuis des années. Son objectif est d’introduire les livres dans les coins les plus reculés, en réalisant le projet «Mille bibliothèques». Ce dernier consiste à en installer dans les usines, les hôpitaux, les casernes, les prisons… L’auteur prône également le lancement d’une sorte d’«ONG du Savoir» sous le nom de «Professeurs sans frontières» ou «Faucheurs de l’inculture».

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