Originalité et profondeur

Foire internationale du livre – «Regards tunisiens sur la littérature libyenne»

«Pourrons-nous parler d’une littérature libyenne? Cette question qui m’a été posée tout à l’heure révèle une réalité amère. La littérature libyenne, malgré sa fécondité et sa diversité, demeure mal connue, mal diffusée et très peu traduite. Une littérature que l’on considère comme victime parce qu’elle est étouffée et accablée», observe Mahmoud Tarchouna, lors de la rencontre «Regards tunisiens sur la littérature libyenne», tenue, mercredi dernier, à la foire du livre.

Slaheddine Boujah, en tant que directeur du Centre culturel tuniso-libyen à Tripoli, a appelé une dizaine d’universitaires de plusieurs facultés de Tunisie à critiquer les œuvres de créateurs libyens. «Des œuvres à découvrir absolument», insiste Boujah.

On a mené donc un vaste éventail de recherche dans pratiquement tous les genres littéraires: poésie, roman, nouvelle, essai ainsi que la littérature pour enfants et les écrits historiques.

Chaque intervenant, ne possédant que dix minutes, devait présenter son travail d’analyse et de critique. Pendant plus de deux heures, les créateurs défilent et les textes s’enchaînent.

Mahmoud Tarchouna a ouvert le bal avec une analyse de l’œuvre du romancier Salah Snoussi. Il a surtout focalisé sur l’originalité du style de l’écrivain et «la ruse littéraire» assez rare dont il fait usage dans ses livres. «Il joue avec l’imaginaire de son lecteur et mène en bateau la critique avec une facilité incroyable. «Haleq rih», par exemple commence comme une épopée et finit comme un roman», relève M. Tarchouna.

Et la littérature pour enfants?…

On va de la complexité à la simplicité et de la réflexion à la spontanéité, avec toujours un dénominateur commun qui est l’originalité des styles et la profondeur des propos. Hamadi Masouidi a mis sous la loupe le nouvelliste Khélifa Fakhri. «Ses mots surgissent d’abord de son esprit comme une idée insaisissable, germent ensuite comme une plante et fleurissent enfin comme un fruit. C’est ainsi que cet écrivain écrit des nouvelles courtes certes, mais émouvantes».

On a mis l’accent sur l’éloquence d’une poésie qui parle à la nature et à la beauté, comme celle de Mohamed Farhat Chaltami, un poète des années 60 et 70, qui a connu la guerre, la prison, la misère et la torture (analyse de Mohamed El Khabou). On a plongé avec Hatem El Fatnassi dans l’univers onirique, sombre et mystérieux de Mefter El Amri. Et on a découvert les nouvelles de Zied Ali, des nouvelles qui font autant rêver que frémir par «l’authenticité et la profondeur de ces textes. Ce nouvelliste varie sans cesse les sujets, brossant à chaque coup de plume un portrait de la Libye», explique Faouzi zmerli.

Mohamed El Ghozzi, quant à lui, a profité de cette occasion pour déplorer la situation toujours «chaotique» de la littérature pour enfants. «Une littérature qui demeure l’enfant pauvre de la culture. On croit toujours que l’enfant est incapable d’évaluer une œuvre qui lui est destinée. On pense qu’écrire pour les enfants ne nécessite pas de grands efforts stylistiques et intellectuels… Et ce n’est pas vrai. Le langage des mômes est celui du rêve, des symboles, de la beauté et du plaisir. Il faut savoir réunir tous ces ingrédients pour pouvoir intéresser les petits». Il a critiqué l’aspect trop moralisateur des écrits de Salem Ahmed El Oujli.

Entre les stands

Slaheddine Boujah s’est intéressé aux travaux de Ahmed Ibrahim, un intellectuel libyen, rédacteur en chef de plusieurs journaux et essayiste politique. Ses écrits tournent autour de la révolution et de l’Etat afin de construire une Libye moderne. Ali Moustapha El Mesrati et Mohamed Ziden figurent aussi parmi les créateurs qui ont touché les intellectuels tunisiens.

Pendant cette rencontre, les universitaires faisaient ce qu’ils pouvaient pour inciter les gens à découvrir le génie d’une littérature dans l’ombre. Sauf qu’au fur et à mesure des intervenions, les chaises se vidaient et les mots tombaient dans l’oreille d’un sourd. L’aspect académique ne colle apparemment pas avec l’ambiance vivante de la foire. Surtout que la rencontre ne s’est pas tenue dans la salle de conférences comme prévu, mais dans un espace étroit aménagé à l’entrée, tout près des stands. Le brouhaha assourdissant des couloirs a donc rendu la concentration difficile et le rythme lassant des conférences n’arrangeait en rien la situation.

Dommage! D’autant plus que plusieurs visiteurs, chargés de livres, franchissaient le seuil de l’espace, mais ne restaient hélas que quelques minutes… On aurait aimé découvrir cette littérature d’une autre manière beaucoup plus chaleureuse et attirante en alternant, par exemple, recherche et lecture. On aurait aimé voir la littérature libyenne non seulement à travers le regard des chercheurs mais aussi des artistes… !

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