Réponses à des questions «muettes»

JCC – Les lieux saints, de Jean-Marie Teno (Cameroun)

Sélectionné en compétition officielle des JCC, Les lieux saints de Jean-Marie Teno n’évoque ni mosquées, ni cathédrales, ni synagogues, ni temples. Les lieux choisis sont pourtant des lieux d’évasion, de méditation et de réflexion qui rassemblent la population d’un quartier pauvre de Ouagadougou : il s’agit d’un club cinéma, d’un «bureau» d’écrivain public et d’un atelier de fabrication de djembe. La caméra oscille entre ces trois lieux, dévoilant la vie quotidienne de leurs occupants : le premier est un exploitant de vidéoclub, le second un ancien technicien supérieur et le troisième un artisan-musicien. Leur point commun : des pensées philosophiques et des images poétiques…

C’est d’ailleurs ce côté spirituel qui fait la force de ce documentaire.

Les trois personnages ont réussi à associer, par la pensée, leurs activités. Ils ont même développé une certaine parenté entre le djembe et le cinéma, entre les mots griffonnés avec la craie blanche sur une plaque en fer rouillée, placée dans la rue, et la tonalité étendue de cet instrument spécifique à l’Afrique. Réunir la population autour de sa culture, l’aider à ne pas perdre son identité et son histoire, lui tendre la perche quand elle est emportée par le courant de la mondialisation… Ce sont là des objectifs communs fixés par ces trois personnages. Chacun, de son côté et à travers son métier, essaye, autant qu’il le peut, de sauver ce qui reste de cette culture effritée…

Jean-Marie Teno, qui a étudié la communication audiovisuelle et qui réalise des documentaires depuis 26 ans au Cameroun, est parti d’une problématique : «Pourquoi réaliser des films ? Pour qui ?». Les films africains sont très peu commercialisés. Ils sont presque absents sur le marché du cinéma local. De plus, à Ouagadougou, toutes les salles de cinéma sont fermées et le public s’oriente vers les vidéoclub, ou encore Le ghetto des quartiers, comme celui présenté dans ce documentaire.

«Mon audience réclame souvent les films africains. Mais ces derniers coûtent trop cher. Je ne peux donc leur servir que les films d’action américains, ou encore les longs métrage indiens», confie le responsable du club de cinéma à la caméra. C’est par le biais du piratage que ce dernier arrive à projeter sur son écran – une télévision — des films locaux rares mais parfois très récents…

Le documentaire étale les difficultés financières que vit quotidiennement ce gestionnaire du cinéma. Il décrit sa manière de planifier les projections, depuis l’achat du DVD jusqu’à la projection du soir en passant par le visionnage, les préparatifs de dernière minute… Il le suit dans ses rêves et ses ambitions…

Des questions essentielles sont posées et des problèmes de fond sont soulevés. Mais le réalisateur ne va pas au bout de sa problématique… On aurait aimé que le documentaire donne plus d’informations sur la réalité du commerce cinématographique en Afrique et qu’il développe davantage sur les systèmes formels et informels de distribution et d’exploitation des films. A côté de ce petit commerçant du ghetto, de ce musicien et de cet écrivain public, on aurait aimé entendre aussi plusieurs réalisateurs, des producteurs et aussi des propriétaires de ces salles de cinéma qui ont fermé… Le tableau, beau et élégant, certes, a quelque chose d’inachevé.

La philosophie et la poésie ne suffisent pas à donner des réponses à des questions concrètes. Le risque est même que, malgré leur charge émotionnelle et intellectuelle, elles noient la problématique et fassent perdre le fils des idées… «On ne peut pas tout dire dans un seul film», plaide cependant le réalisateur lors du débat qui a suivi la projection. Il a voulu parler d’une situation qui ne lui plaît pas, qui le gêne et rend sa vie difficile. Il a voulu soulever des questions que tout professionnel du cinéma pose aujourd’hui.

Il a raconté, en même temps, la vie des habitants d’un quartier qui, avec les moyens du bord, ont essayé de donner des réponses à des questions «muettes».

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