Théâtre – Bardo, chambre7 de la compagnie Haut et Court en avant-première au Centre culturel international de Hammamet
Il est 19h30. Le soleil vient à peine de se coucher. En ce lundi 17 mai, l’immense jardin botanique de Dar Sébastien à Hammamet est noyé dans une douce obscurité atténuée par un éclair de lune. Une voix surgit des ombres: «Tu es seul, vraiment seul. Tu n’as personne autour de toi. Il ne faut pas avoir peur».
En effet, il s’agit d’une pièce de théâtre d’une grande originalité que chaque spectateur doit affronter seul, sans témoin ni observateur. Pendant six minutes, livré à lui-même, il doit franchir un parcours, construit d’images, de sensations et de mots pour saisir l’insaisissable.
Pas de scène donc ni de régie; rien qu’une voix qui semble émaner du néant pour guider le spectateur dans le labyrinthe de la mort. Bardo, chambre7 est la dernière étape d’un grand projet intitulé «le Bardo», une création de la compagnie Haut et Court, en résidence depuis douze jours au Centre culturel international de Hammamet. Le Bardo, composée de sept chambres frictionnelles, inspirées de différentes résidences à travers l’Europe et le Maghreb, sera présentée, dans son intégralité, à la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon, du 7 au 14 juillet 2010, pendant le festival d’Avignon.
«Chaque pièce est unique et elle est liée à un espace particulier qui raconte une seule histoire et un seul vécu. Conçue comme une aventure intime, chaque traversée de Bardo est propre à chaque spectateur. Elle ne peut être partagée», explique Philippe Puigserver, le metteur en scène.
Le parcours de Hammamet commence donc par un face-à-face entre le comédien et le spectateur. Dans le noir, sous les arbres, un visage s’illumine et d’une bouche presque immobile jaillit une cascade de mots qui effrayent et rassurent, ordonnent et suggèrent. On suit ensuite l’allée qui sépare les jardins, vers la mer. Entre les arbustes, paraît une créature vêtue de blanc. Les regards se croisent et une voix commence par chuchoter: «Je ne suis pas réel, je ne suis qu’une illusion», lance-t-elle. La créature répète qu’on n’est qu’une herbe que l’on malmène et que l’on écrase, que l’on arrose et que l’on arrache. Souriante, tel un ange, elle enchaîne les phrases sans baisser les yeux et sans hausser la voix. Et puis, la silhouette s’écarte pour montrer un chemin qui mène à une chambre noire…
Là, on suit une lumière qui aveugle le regard, on s’assoit au ras du sol pour respirer jusqu’à sentir le corps se vider de son âme. Là encore, une voix souffle des mots d’une langue étrangère qui ne semble avoir aucun sens mais qui bouleverse et émeut. On suit encore la lumière et on atterrit dans une petite pièce où des voix, de timbres différents, émanent de plusieurs baffles faisant vibrer le sol au-dessous des pieds. On est réduit à une sorte d’écho ou plutôt à une onde que l’on propulse dans les airs. D’ailleurs, c’est sur la terrasse que le parcours s’achève, à mi-chemin entre la terre et le ciel.
On est comme ce défunt qui traverse le Bardo. Un mort-vivant qui commence son long voyage à travers les ténèbres de la tombe. Les mots qui frappent nos tympans (texte écrit par Antoine Volodine) sont inspirés du livre de Bardo Thôdol, livre des morts tibétains qui a servi de ressort dramatique à toute cette aventure. Lu au chevet des mourants, ce livre contient une suite d’instructions données à ceux qui veulent dépasser la mort, en métamorphosant son processus en un acte de libération. Le défunt, lors du trépas, ne comprend pas qu’il est mort et se trouve dans un état proche du sommeil. La récitation de la première partie du livre est destinée à lui faire prendre conscience de son état, lui épargner les regrets et le préparer à la libération finale.
Le texte d’Antoine Volodine essaye de créer des images littéraires qui dépassent le sens et éveillent les sensations, qui rendent visible ce qui est invisible. La traversée de «Bardo» mélange le réel et le fictif et raconte une mort personnelle, un voyage unique et intime.