Un concert sans flics

Baaziz et Bendirman, à El Teatro

Bendirman
Bendirman

Baaziz n’est plus le même. Habitué à la provocation et aux risques, le chanteur algérien paraissait perplexe, mercredi dernier, à El Teatro. « Je n’aime pas parler des gens quand ils ne sont pas là », explique-t-il amusé. Il observe la salle et remarque l’absence de son public « fétiche », constitué d’hommes « moustachus » qui occupent toujours les meilleures places. « Y a-t-il des flics dans la salle? », crie-t-il, avant de commencer le concert.

Bien sûr que non. La voie est libre. « Dorénavant, ça va être comme avant », lance Baaziz soulagé. Pas de programme en vue. Le chanteur ne suivra que son propre feeling…

Il se déchaîne, comme de coutume, sur la politique de Bouteflika et enchaîne avec des blagues ulcérées sur la personnalité de Zine Ben Ali et son épouse Leïla Trabelsi.

Le délire est le plus total… »Vous êtes sûrs qu’il est parti? « se demande-t-il, faisant semblant de s’inquiéter. Rappelons que Baaziz a été expulsé de Tunis, en 2008, alors qu’il devait assurer, le soir-même, un concert à El Teatro. Le chanteur avait eu l’imprudence de comparer le régime politique algérien à son homologue tunisien, lors d’une représentation au Théâtre municipal de Tunis. Une simple allusion qui lui a coûté deux ans d’interdiction de séjour sur le territoire tunisien sous prétexte d’avoir porté atteinte à la sécurité nationale. Le chanteur a profité de la liberté d’expression actuelle pour raconter en détail les phases de son expulsion.

Aujourd’hui, il revient sur scène, heureux d’une révolution qui a brisé les lourdes chaînes rouillées d’un système que l’on croyait imperturbable. Pour fêter la victoire, il a amené avec lui un chanteur engagé: Bendirman, le jeune Tunisien qui a créé, dans l’ombre, une planète baptisée Bendirland, sur laquelle il compose, à l’abri des regards inquisiteurs, des chansons patriotiques contre-courant. Quand les Tunisiens applaudissaient la victoire de Ben Ali, aux élections présidentielles de 2004, à 99 % de voix, Bendirman dénonçait la falsification des urnes…

Quand Soufia Sadok chantait la paix et la prospérité de la Tunisie, il pleurait en silence la pauvreté et la frustration des Tunisiens… Quand la télévision embellissait les événements ensanglantés de Redeyef, lui, criait, dans son coin, son ral-le-bol et son désespoir. Avec Baaziz, Bendirman a fait remonter à la surface cette planète, longtemps enfouie dans les ténèbres. Il l’accompagnera dans une longue tournée dans des pays européens, à commencer par les Olympiades à Paris.

Le concert d’El Teatro a commencé par un hommage rendu à ceux qui ont payé, de leur vie, le prix de la liberté: une minute de silence dédiée aux martyrs tunisiens et algériens, au monde arabe et à la liberté…Et puis des chansons bouleversantes, autant par leur sincérité que par la réalité des faits…

Le sérieux ne peut durer longtemps avec Baaziz. Très vite, la dérision reprend. Provocateur de nature, il braque sa guitare sur le public tunisien, le taquinant parfois, le provoquant de temps en temps…Des ripostes se laissent entendre à travers la salle, mais Baaziz ne laisse rien lui échapper… Toujours sur ses gardes, il attaque et se défend avec les mêmes armes d’un humour raffiné et ciblé qui fait rire à gorge déployée…

Ceux qui ont consenti le déplacement, mercredi dernier, ont profité de plus de deux heures de bonheur et de joie… Merci à ces deux chanteurs qui nous ont rappelé qu’une Victoire se fête aussi par le chant, le rire et le défoulement…

«Roulons pour des fauteuils roulants»

L’espace El Teatro, consacre une partie de ses recettes et de celles des artistes qui participent à ses activités, à l’achat des fauteuils roulants en faveur des handicapés des zones les plus touchées par les événements que la Tunisie a connus ces deux derniers mois.

Une action citoyenne qui démontre que l’art et la culture peuvent, sinon doivent, être au service de l’humain. Nous nous attendons à ce que l’ensemble des acteurs culturels se joignent à El Teatro et aux artistes qui ont déjà commencé à mener de telles actions.

A bon entendeur…

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