Un homme bien de chez nous

Exposition-événement à Byrsa

  • C’est à partir du 15 octobre, date du vernissage, que le public pourra venir découvrir l’ancêtre carthaginois, dont le visage a été reconstitué

Il est grand (environ 1m 70), jeune (entre 19 et 24 ans), beau et robuste. Il a un visage commun «que l’on peut rencontrer dans la rue. Méditerranéen sans aucun doute, il a probablement des cheveux bruns et des yeux marron. Mais on n’en est pas encore sûrs. Un test ADN nous le confirmera», précise Leïla Sebaï, archéologue, initiatrice de l’exposition consacrée à l’homme de Byrsa, qui se tiendra le 15 octobre au musée de Carthage. Le jeune Punique est, aujourd’hui, quasiment reconstitué.

Il tiendra le jour J dans un pavillon spécialement conçu pour lui. L’itinéraire de la visite est déjà fixé : on commencera par la tombe qui sera placée à l’entrée du musée de Carthage sur l’esplanade de Byrsa.

On accédera ensuite à l’exposition qui sera partagée entre deux espaces: on découvrira d’abord le squelette et le sarcophage d’origine ainsi que le matériel funéraire qui avait accompagné le défunt dans son ultime voyage. On présentera également des posters, des notices et des cartes relatives à l’histoire de la ville archaïque (VIe s. av. J.-C.) et de ses nécropoles. La scénographie de l’exposition débouchera ensuite sur la chambre de l’homme de Byrsa. Il sera là, vêtu d’une longue tunique pourpre en lin et chaussé de spartiates comme à l’époque.

Il y a 25 siècles, ce même homme a été enterré dans ce même endroit au fond d’une tombe punique «à puits», très profondément enfoui dans le sol. «Ce personnage n’a pas eu une mort traumatisante. Une maladie ou peut-être une piqûre de serpent l’a achevé. L’homme de Byrsa ne souffrait que d’une dent cariée. Il porte aussi deux côtes soudées qui pourraient être dues à une anomalie congénitale», précise encore Leïla Sebaï.

Le Carthaginois dormait tranquillement dans sa tombe jusqu’au jour, en 1994, où le conservateur du musée de Carthage de l’époque, Abdelmajid Nabli, décide de planter un arbre au milieu de la cour. «A Byrsa, les trous révèlent souvent des secrets». La tombe fut donc dégagée par une équipe archéologique franco-tunisienne. Elle portait deux sarcophages : l’un contenait le squelette en question, l’autre était vide. «Une personne voulait probablement être enterrée auprès de notre homme. Mais elle n’a pas pu le faire. Sa veuve aurait peut-être changé d’avis !», s’amuse à imaginer encore Mme Sebaï.

Le mystère continue…

Beaucoup de mystère rôde autour de cet homme. L’endroit où il a été exhumé, en haut de la colline de Byrsa, est élevé par rapport à la nécropole punique dégagée. Au VIIIe siècle av. J.-C., dans les premières années de l’installation des Phéniciens, la ville ancienne s’est développée tout le long de la mer et toutes les collines qui entouraient Carthage étaient des cités de morts. «Nous ne savons pas si cette tombe se trouve dans une continuité de la nécropole qu’on a pu fouiller ou si elle ne se trouve pas plutôt dans un endroit privilégié, réservé aux personnalités de marque», fait remarquer notre archéologue. L’homme de Byrsa est, sans aucun doute, un citadin, d’une certaine classe aisée de la société. Sa tombe est magnifiquement construite.

Elle contenait un matériel funéraire assez fourni : des céramiques, des jarres, des lampes, des assiettes, des amulettes égyptianisantes «qui faisaient sans doute partie d’un chapelet», un pendentif représentant un athlète en course d’inspiration grecque, des petits cercles en ivoire, des morceaux de tissu qui pourraient être des restes de vêtements ou de linceul, ou encore une matière rouge, probablement un fard qui fait partie du rituel funéraire… «Néanmoins, vu la posture et la valeur apparente de ce personnage, ce matériel aurait pu être plus important. Surtout que ce personnage est mort au VIe siècle av. J.-C., l’âge d’or de la Carthage punique», indique encore Mme Sebaï.

Malgré cette carence, ce matériel funéraire est d’une grande importance historique. Il recueille, à lui seul, trois influences, à savoir la grecque, l’égyptienne et la berbère (le fard). Une vraie synthèse de civilisation carthaginoise qui est typiquement méditerranéenne. Mais ce matériel n’est pas, dans sa composition, rare. «Ce n’est pas étonnant de trouver, dans ces sites, des tombeaux et du matériel funéraire de ce genre, qui peut remonter au Ve voire au VIIe siècle av. J.-C.»

L’originalité de la découverte réside dans le bon état du squelette qui est pratiquement intact. Souvent, les os s’effritent au toucher. Ce n’était pas le cas pour ceux de cet homme. La bonne conservation est due peut-être à la qualité du matériel de construction de la tombe (la craie de Haouaria, une matière qui conserve bien les os) ou encore à la position en hauteur de la tombe qui la protège du ruissellement des eaux. A peine dégagé, le squelette a été étudié par Sihem Roudesli Chebb, paléoanthropologue, et exposé au musée de Carthage.

«Face à ce squelette, personne ne peut rester indifférent. Il dégage quelque chose de sympathique. Quand je l’ai vu pour la première fois, j’étais tellement épris par ce squelette que l’idée de voir ce Carthaginois en chair et en os m’a hanté. Je savais à l’époque que la technique de la reconstitution de personnage — la dermoplastie – existait, mais je ne savais par où commencer», se souvient l’archéologue. L’idée a «hiberné» longtemps dans son esprit et elle n’a germé que grâce à l’Icom de Tunis qu’elle préside aujourd’hui. Cette institution lui a permis de rencontrer des gens des quatre coins du monde, dont Elisabeth Daynes, la sculptrice française, spécialiste de la reconstitution de personnages anthropomorphiques de la «dermoplastie». Cette technique sera présentée lors de l’exposition à travers un film qui explique en images les étapes de la reconstitution, depuis le voyage du squelette jusqu’à la conception du costume, en passant par le moulage du crâne, le traitement de la peau…

«Elisabeth Daynes a été très enthousiaste à la vue du squelette. Aussitôt, une équipe a été formée et nous avons commencé le travail». Tout le monde a mis la main à la pâte pour mener à bien ce projet, à savoir le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, l’Institut national du patrimoine, l’Agence du patrimoine, l’Institut français de coopération, l’Icom, l’Ecole nationale d’urbanisme et d’architecture, ainsi que de nombreux sponsors…

«On espère que cette exposition débouchera sur d’autres opérations aussi importantes. Plusieurs questions restent en suspens et attendent toujours des réponses. Nous souhaitons que d’autres activités culturelles seront programmées parallèlement à l’événement pour faire renaître, encore une fois, Carthage de ses cendres», conclut Mme Leïla Sebaï

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