Une nouvelle vie pour un patrimoine délaissé

Vadrouille – Architecture

Tahar AYACHI La Presse de Tunisie : 12 – 09 – 2011

Dans la fièvre de la liberté fraîchement conquise, on a assisté à une explosion de projets  pour se réapproprier tous les domaines qui, jusqu’alors, échappaient au champ de l’initiative citoyenne pour être enfermés dans le sanctuaire de l’action officielle. C’est ainsi que, au mois d’avril dernier, une vingtaine d’architectes, d’urbanistes, d’historiens  et même un photographe, un éditeur et un professionnel du tourisme se réunissaient autour de la problématique de l’architecture moderne en Tunisie remontant aux XIXe et XXe siècles. L’objectif est «de dresser dans un premier temps un état des lieux réaliste de la situation actuelle».

Cette action devant avoir pour but «de déterminer les actions prioritaires  et des orientations générales quant à l’avenir, en sachant que celles-ci se doivent de rester cohérentes, compatibles à la fois avec le souhait de la population et avec les impératifs de l’économie», l’intervention devant s’effectuer à l’initiative de «groupes … orientés sur différents axes : certains pourraient s’atteler  à jeter les bases d’une nouvelle déontologie de l’urbanisme, d’autres se pencheraient sur les actions à entreprendre pour revaloriser  le cœur des quartiers laissés en friche, comme celui de la Petite Sicile à Tunis, pour recenser les lieux à vocation patrimoniale sous-exploités, ou mal exploités, ou encore pour initier un réseau de parcours culturels destinés à faire découvrir à la fois aux Tunisiens et aux touristes l’étonnante diversité des villes. » Nous associant à cet élan, nous avons pris soin de publier dans ces colonnes, le 6 juin dernier, la «lettre ouverte aux architectes tunisiens et aux amoureux du patrimoine», dont nous avons extrait ici quelques passages, adressée par l’architecte et historien Charles Bilas, auteur d’un livre intitulé : Tunis, l’Orient de la modernité.

En effet, comme le souligne la préface d’un ouvrage édité par les soins de l’Association de Sauvegarde de la Médina de Tunis sous le titre de «Tunis 1800-1950», la grande majorité des maisons et des bâtiments publics des quartiers centraux de Tunis, mais aussi de nombre d’autres villes encore, comme Sfax, Sousse, Bizerte  et d’autres, quand ce ne sont pas des cités entières, comme celles de Béni Mtir, de Menzel Bourguiba ou de Jérissa, pour ne pas parler de la multitude de gares  et de fermes dispersées du nord au sud du pays, tout ce patrimoine est marqué du sceau d’une architecture portant l’empreinte de l’époque qui va de 1800 à 1950, c’est-à-dire caractérisée par un style européen classique ou moderne ou vernaculaire ou bien un mariage entre le style local et les normes nouvelles de bâtiment et de décoration.

L’ouvrage ci-dessus cité précise en effet que, «dans le contexte de l’Afrique du Nord, cette référence à l’architecture classique dans les constructions du XIXe siècle est désignée par les architectes par l’expression «style du vainqueur». Style exprimant les prétentions  impériales du Second Empire et de la IIIe République… Cependant, dans le cas de la Tunisie, une autre tendance vit le jour : le «style protecteur», qui se voulait le reflet des spécificités locales. Et, à l’instar des formes d’architecture régionaliste qui émergeaient en Europe … les bâtiments de style «néo-mauresque» de la fin du XIXe et du début du XXe siècle en Tunisie devaient abriter des fonctions nouvelles dans des structures marquées par des techniques et des vocabulaires ornementaux des plus locaux».  Du siège de La Paierie Générale de Tunis à la Mairie de Sfax en passant par la gare de Tozeur ou l’Hôtel de ville de  Sousse, les exemples en sont multiples.

Un patrimoine considérable, donc, spécifique et varié qui nous interpelle de par sa valeur intrinsèque mais aussi de par son potentiel social en tant que cadre de vie et économique comme produit touristique à l’usage des nationaux aussi bien que des visiteurs étrangers. Sa sauvegarde, sa mise en valeur et son entretien au quotidien deviennent de ce fait un impératif majeur que les seuls pouvoirs publics ne sauraient assumer en exclusivité, à supposer qu’ils en aient la volonté.

L’Association de sauvegarde de la médina de Tunis, par exemple, qui, en dépit de son caractère associatif présumé (elle relève, en fait, de la municipalité de Tunis dont le maire est, ipso facto, le président de ladite association qu’il gère comme un service parmi d’autres), a bien entrepris, début des années 2000, une action d’embellissement de l’axe qui va de la Porte de France à la gare TGM, mais c’est là une initiative ponctuelle (pour les besoins d’embellissement d’une vitrine que l’ancien régime voulait comme le reflet d’un prétendu bien-être généralisé) et limitée à la seule capitale. Quid du reste ? Rien, en dehors de professions de foi patrimoniales. D’où le rôle crucial que la société civile est appelée à jouer et l’impact de son engagement volontaire, bénévole, multiforme  et étendu à tout le territoire.

Noblesse du mécénat

Aujourd’hui, l’Association 19-20 (pour XXe et XXe siècles) est née à l’initiative de la vingtaine de militants réunis le 11 avril dernier. A son agenda, une première action (d’envergure) : le répertoire de tous les  bâtiments  et lieux des XIXe et XXe siècles à travers tout le territoire. Cela devrait préluder à l’engagement de chantiers pour leur sauvegarde.

Toute action associative tire ses ressources de l’engagement de ses promoteurs, mais aussi de la substance de son objet, de son écho et de son impact sur son environnement. Nul doute que celle-ci profitera pleinement de la collaboration de partenaires aussi nombreux que variés, allant de l’Administration aux administrés en passant par les organismes nationaux et internationaux ainsi que les entreprises aujourd’hui libérées du racket en règle auquel elles étaient soumises de la part d’une foule de vampires acoquinés avec le pouvoir naguère en place. Ce faisant, la notion de mécénat recouvrera sa noblesse.

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