Leïla Shahid, Palestine forever, de Michèle Collery et Comme a dit le poète, de Nasri Hajjaj
Raconter la douleur de la Palestine, sans larmes ni cris, sans images crues, ni scènes sanglantes fut l’objectif des deux documentaires Leïla Shahid, Palestine forever et Comme a dit le poète, projetés, récemment, au Théâtre municipal dans le cadre de Doc à Tunis.
Le premier, réalisé par Michèle Collery pour la chaîne Arte et la TSR (Télévision Suisse Romande), est un portrait de Leïla Shahid, ambassadrice palestinienne auprès de l’Union européenne. Quant au second, il se veut un hommage à l’un des plus grands poètes arabes contemporains Mahmoud Derwich et est signé par Nasri Hajjaj.
L’histoire de Leïla commence par un livre : Les Souvenirs de Jérusalem, écrit par Sirine Husseini et préfacé par Edward Saïd. Cet ouvrage, écrit d’abord en anglais, puis traduit en français, en hébreu et enfin en arabe, rassemble tous les contes de fées de Leïla Shahid. “Quand j’étais petite, ma mère, Sirine Husseini, me racontait toujours les mêmes histoires, celles d’une Palestine fournie en jardins et en fleurs, en prairies et en oliviers… Je me souviens de ses rires mêlés à ses larmes, de sa nostalgie et de sa profonde tristesse”, confie-t-elle à la caméra. Leïla Shahid porte cette image de la Palestine en elle. Elle avait un visage serein, un sourire permanent et le contact facile. Elle ouvre, sans aucune gêne, toutes les portes à Michèle Collery, tire tous les tiroirs et soulève tous ses anciens couvercles…
Elle nous présente sa famille, ses amis et tout son entourage. La caméra se pose sans indiscrétion sur les photos de sa famille, déposées sur la table de sa mère. Une entrée en matière très originale pour présenter cette lignée très impliquée dans le mouvement national palestinien dès le début du siècle après la chute de l’empire ottoman et l’institution du mandat britannique sur la Palestine, censée préparer son indépendance. Et puis, on suit Leïla, au pas de félin, qui enjambe les pays pour plaider la cause du peuple palestinien. De sa voix émouvante, elle nous raconte le jour où elle devait passer son Bac, le 5 juin 1967, quand la guerre des six-Jours a éclaté ; elle n’avait pas 18 ans. Leïla réagit en s’impliquant dans l’action politique. Avec elle, on a feuilleté le journal local de l’ Université américaine de Beyrouth où elle avait entrepris des études de sociologie et d’anthropologie.
Elle nous a fait rencontrer la famille de Ezzeddine Kalak, ancien représentant de l’OLP en France, assassiné en 1978. Elle nous a amenés au camp de réfugiés de Sabra et Chatila où elle avait assisté, en compagnie de son ami Jean Genet, aux horreurs engendrées par le massacre. Avec elle aussi, on a récité la Fatiha sur les tombes de Yasser Arafat et de Mahmoud Derwich à Ramallah… Tout en elle inspire l’espoir et la paix tout comme cette Palestine de ses rêves, la Palestine des souvenirs de sa mère.
Parole d’un poète
C’est avec les souvenirs que Nasri Hajjaj a aussi composé ses images. Les souvenirs non d’une mère palestinienne mais plutôt du Père de toute la Palestine. Le film commence par le dénouement d’un rêve ou plutôt par la mort de Mahmoud Derwich, sur un lit d’hôpital. De là, le réalisateur part à la recherche des traces laissées par ce poète dans des lieux où il a habité. Il va vers les personnes qui l’ont rencontré et qui ont traduit ses œuvres en plusieurs langues et même en langage des signes… De part et d’autre, les vers sont lus de différentes manières et de plusieurs voix… Nasri Hajjaj a parcouru dix villes et villages. Il a collecté mille images pour retracer un itinéraire qui ne semble avoir ni début ni fin. Dans ce film, on ne parle que poésie et le rythme s’inspire totalement des vers et des mots de Derwich.
Hajjaj s’aventure à donner une forme à des images abstraites, à traduire des sensations très fortes et à refléter des émotions époustouflantes. Sauf que la poésie de Mahmoud Derwich suffit à elle-même. Aucune image ne peut réellement la traduire… La voix du poète masque l’écran, le souffle remplace toute musique et les paroles prennent possession de l’espace. Mahmoud Derwich émerveille et éblouit par la force de ses mots et par la magie de sa voix. Toute poésie iconique, musicale ou autre n’avait à notre avis aucun sens… Mais on ne peut oublier que Comme a dit le poète est avant tout un film d’amour et de reconnaissance. Un film qui raconte une vie qui commence après la mort.
“Mon film n’est pas un documentaire au sens propre du mot. Il est loin d’être une œuvre biographique. C’est ma manière de pleurer ce poète qui a toujours incarné ma voix et celle de tous les Palestiniens”, explique Nasri Hajjaj avant la projection …