Le rêve d’un petit prince

«Musique et silence» à Timbaïne

Sans scène ni gradins, sans sono ni projecteur, Timbaïne est pourtant un vrai théâtre naturel, sculpté dans la montagne entre les dunes de sable à une centaine de kilomètres de Douz . Le pilote de Rallye Riadh Mnif et son co-pilote Ahmed Abdelmoula l’ont découvert et, sur la trame du silence, Riadh el Fehri a composé les premières mélodies…

Dans ce «nulle part», un festival est né et un rêve s’est concrétisé. Au creux de cette montagne, le public s’installe, il prend ses aises pour écouter la musique du silence : certains sont assis en tailleur sur le sable ou contre les rochers, d’autres sont étendus sur le dos contemplant le bleu du ciel, d’autres encore sont perchés au sommet…

«Toute cette ambiance m’a plongé au cœur de la mémoire, à la naissance même du théâtre, et au temps où les hommes se réunissaient autour de la musique, pour apaiser leur crainte première, celle de la mort. La note devient voix et la voix se transforme en paroles», explique Hichem Rostom. L’artiste est venu dans ces lieux éloignés pour parler, à sa manière, de la naissance et de la mort. Il a tricoté des textes, sur mesure, pour traduire une musique flottante et aérienne… Le matin du samedi 13 novembre, les vers ont accompagné le trompettiste Alberto Anguzza et, le soir, l’orchestre de Riadh El Fehri…

«Notes ou paroles, l’essentiel, c’est de laisser gémir les blessures du cœur…», observe Anguzza. Le musicien italien s’est choisi le milieu de la montagne, face aux dunes, pour laisser se répandre sa musique. Une bouffée d’air frais inspirée et les notes expirent en traversant la brise et en remplissant le silence… Même si ce concert ne s’est pas déroulé à l’aube comme prévu, il n’était pas dépourvu de magie…

Chaque heure et chaque endroit possède sa propre musique. Riadh el Fehri a choisi le crépuscule pour jouer sa mélodie… Mais ni l’heure ni la lumière n’avaient d’importance dans l’immensité de cet espace… Au pied de la montagne, sept artistes de différents horizons étaient réunis. Il y avait le luth, le violon, l’alto, le cello, la trompette, les percussions, le piano, et l’on a concocté des compositions où chaque instrument pouvait s’exprimer en harmonie… On «croise» les mélodies et on «tresse» les phrasés pour exprimer une profonde tristesse qui a arraché des larmes aux spectateurs…

«“Musique et silence” est un adieu à ceux qui nous ont quittés», lance d’une voix rauque, et d’une façon inattendue, Hichem Rostom… Le chagrin est dévoilé. On comprend que le crépuscule accompagne un départ et une mort et que cette acoustique naturelle parfaite fait résonner un cri de détresse…

L’acteur continue son chemin et danse en direction du soleil en balançant son «burnous»… Entre temps, la musique s’enchaîne comme dans une marche funéraire, toujours bouleversante et émouvante… Hichem Rostom revient au théâtre pour lancer le mot de la fin. «J’ai voulu créer un manège entre la musique et la poésie et transmettre ainsi une alchimie de sensations», explique Fehri.

Une minute de silence!

La musique de Riadh el Fehri parlait d’elle-même et n’avait peut-être pas besoin d’autant de mots pour évoquer une souffrance intime et si profonde. On aurait aimé entendre les poèmes de Hichem Rostom sans musique, et dans le silence de la nuit glaciale du Campement de Mars. Là où tout le monde se réunissait le soir autour de la braise. Les poèmes auraient pu résonner d’une voix moins théâtrale mais beaucoup plus perçante… Mais les organisateurs avaient peut-être leurs raisons!…

Sous les tentes, on avait programmé des concerts plus légers, moins spectaculaires. «Timbaïne chante cinq langues», animé par le chanteur Kamel Fkih, a donné le coup d’envoi avec des rythmes joyeux. Le ton festif était lancé à travers des airs méditerranéens d’une grande originalité, comme ce duo de darbouka et de trompette, de piano et de batterie… On a essayé de marier les différents styles méditerranéens et de faire danser la musique au plaisir de ce public particulier…

On a aussi offert cet espace à des jeunes musiciens comme Khaled Ayari qui, guitare au cou, harmonica accrochée devant les lèvres, chante ses poèmes romantiques à tout moment et en tout lieu… La beauté des dunes qui encerclent le Campement de Mars lui a même inspiré une chanson inédite sur Timbaïne, sur la montagne, sur le silence du désert, le lever et le coucher du soleil…

A Timbaïne, on a écouté une belle musique, mais on n’a pas toujours pu profiter du silence parfait. Beaucoup de bruit nuisait à la pureté naturelle de ce son. Le directeur du festival Riadh Mnif, ainsi que le responsable artistique, voulaient aussi faire écouter à leur public le silence de la musique. Un silence solennel, aussi fragile que le sable et les dunes, aussi mouvant et émouvant que le désert…

«Ce n’est que le début. L’endroit se prête à recevoir beaucoup de musique. Les projets des prochaines sessions bouillonnent déjà dans ma tête», fait remarquer Raouf Ben Amor, directeur de production. Au début, personne ne croyait à ce festival perdu au milieu du Sahara… Personne ne croyait à sa magie et à sa beauté. Le festival est aujourd’hui bien installé et il s’apprête à voler de ses propres ailes.

«Il est plus facile d’améliorer les choses que de les créer. Il suffit de commencer», précise Raouf Ben Amor.

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