Penser plastique et pratiques artistiques contemporaines, de Faten Chouba Skhiri
Les plasticiens ont-ils besoin des théoriciens pour qu’on écrive sur leurs œuvres ? Les théoriciens peuvent-ils rendre compte d’un art qu’ils ne pratiquent pas eux-mêmes ? C’est cet écart entre la pratique et la pensée qui a poussé Faten Chouba Skhiri à écrire Penser plastique et pratiques artistiques contemporaines. Un essai en deux parties : un témoignage théorique sur une expérience plastique personnelle et une analyse théorique des pratiques actuelles des arts plastiques.
Dans la première partie, l’auteur se met à l’épreuve et crée sa propre «théorie». «Le plasticien est conscient de l’absurdité de cette théorie et que c’est l’exercice même de cette absurdité qui le fascine», explique-t-elle. Car il y a toujours dans le «faire» quelque chose qui, souligne-t-elle, échappe au «dire». Pour Faten, la quête de l’impossible n’est qu’un jeu qui se résume dans la «poursuite d’une pensée plastique» éphémère et dans la recherche d’une certaine cohérence.
Elle a donc entamé ce «jeu» par des explications relatives à une technique qu’elle emploie comme une expression artistique, s’intitulant Art comme emballage. Le procédé est simple : emballer des objets avec du scotch ou encore superposer des boîtes, des rubans, ou des photos… Les accessoires, ressemblant à une peau ou une écorce, ou autres…, permettent «une fusion intime et une adhérence absolue entre le contenant et le contenu (…) entre le dehors et le dedans», explique-t-elle.
Elle illustre cela par l’image de la pieuvre qui symbolise la femme, selon la mythologie des habitants de l’atoll Ulithi, en Océanie… Sur la plage de Monastir, Faten a étalé des jarres toujours emballées de scotch, «qui abritent au fond d’elles le mythe de Pandora, femme emballage, piège de séduction, elle entraîne les hommes à leur perte», avance-t-elle. C’est par le biais de l’emballage que l’artiste raconte la mort et la vie, le sacré et le profane…
Dans cet essai, Faten essaye d’expliquer également l’essence ou plutôt le déclic qui a engendré deux de ces œuvres : Terre Menstrue 1 et Terre Menstrue 2. La première est une œuvre réalisée dans un paysage salin sous forme de déversement d’une peinture rouge entre les failles desséchées des talus du satin. La seconde est une boîte remplie de sel fin.
En son milieu est installé le moule en plâtre de son visage sur lequel elle a déversé de la peinture rouge. L’artiste a d’abord décrit un marais salin, situé à mi-chemin entre Sousse et Monastir, qui change de couleur et d’aspect en fonction du temps, de la lumière et de la saison. Elle a ensuite raconté sa découverte de l’Alchimie. La beauté mêlée à la magie lui a inspiré la création de ces œuvres…
Dans la seconde partie de l’essai, l’auteur s’appuie sur plusieurs références pour mieux expliquer les origines des œuvres d’art. Pour elle, l’art contemporain ne peut être perçu sans une interprétation qui légitimerait sa présence. C’est là où la mythologie et la philosophie interviennent.
«D’après les dires de Mircea Eliade, le mythe est au commencement des choses, il se situe comme fondateur des origines», avance la plasticienne… L’auteur part du mythe et remonte aux sources, jusqu’en Afrique noire, pour rendre compte de la réminiscence mytho-poïétique contemporaine…
Du «primitif», elle accède au «modernisme», sujet de son chapitre VII. Pour enfin aboutir à l’inévitable : l’art, pour elle, est une pensée «du simulacre», de l’extra-réel et «des interfaces»… Et comme l’a dit Roland Barthes : «L’œuvre est interminable». Il y aura toujours un non-dit qui émerge et qui se montre.
«Théoriser une pratique, c’est s’en approcher et en même temps vivre un écart. Un détachement», conclut Faten Chouba.