Publications : ZAT (Zone artistique temporaire)
Bruit, bourdonnement, chuchotement, sifflement… A chaque rue son son et à chaque ville sa musique. Comment écouter ces pulsations intimes, comment les traduire et les expliquer et comment entrer en symbiose avec son espace public?
Ce sont là des questions que posent, depuis quatre ans, Sofiane et Selma Ouissi, des artistes contemporains. Ils ont conçu un festival (Dream City) où ils ont amené des créateurs, dans plusieurs disciplines, à conquérir l’espace public et à penser la ville artistiquement…
Dans cette même optique, ils ont également lancé, par le collectif de Dream City, un magazine trimestriel gratuit où ils invitent les urbanistes, les architectes, les journalistes et tous ceux qui s’intéressent à l’art contemporain à partager aussi bien des témoignages que des réflexions sur l’art en espace public.
Le magazine s’intitule ZAT (Zone artistique temporaire). Publié en petit format, il est facile à glisser dans la poche ou à feuilleter dans un train ou un métro. «On pourrait même le laisser quelque part pour que quelqu’un d’autre le prenne et le lise, à son tour», explique Aurélie Machghoul, la rédactrice en chef. Ce magazine «ambulant» s’inscrit, en fait, dans une logique de partage et de proximité. Il se veut le compagnon de route qui décrit, explique et raconte quelques histoires d’artistes qui se sont investis dans les rues et dans les villes.
Chaque numéro s’articule autour d’une thématique, développée à travers trois catégories, à savoir «Habiter», «Territoires», «Itinérance». Chaque catégorie comprend des rubriques telles que «Regard d’artistes», «Droit de cité», «Lieux publics», «Etat des lieux», «En chantier»…
Le premier numéro, lancé lors du festival de Dream City, a été réservé à la notion d’art en espace public. C’était une entrée en matière expliquant la nouvelle relation nouée entre l’artiste, son public et son environnement.
Laâroussa, hors des sentiers battus
La deuxième édition s’est intéressée aux artistes de la révolution, à ceux qui ont créé les slogons, à ceux qui ont meublé facebook et surtout à ceux qui ont couvert les murs de graffitis, de pochoirs, de signes, de textes…
Dans ce numéro, l’historienne-urbaniste Jamila Binous raconte l’histoire de l’artère principale de Tunis, l’Avenue Habib-Bourguiba, qui a brutalement changé de visage et d’allure. La réflexion s’oriente naturellement vers les nouvelles pratiques artistiques en espace public. La révolution a brisé les murs, libéré la parole et déchaîné les corps. Comment a-t-elle aussi touché l’art contemporain ? Comment pourra-t-elle l’aider à sortir de son ghetto et à aller vers la rue, lieu de liberté et d’échange ?
Le troisième numéro a été entièrement dédié à une action artistique communautaire «Laâroussa» (la poupée), qui a été menée, de février à juin 2011, à Sejnane. Le collectif Dream City et leurs partenaires, «La Luna», des plasticiennes spécialisées dans le travail des quartiers et des populations sont allés à la rencontre des femmes potières de la région. La revue présente également les œuvres de la Tunisienne Sonia Kallel et de la Béninoise Tobi Ayédajou, qui ont été réalisées au cours de cette rencontre et qui ont été inspirées du savoir-faire artisanal régional basé sur la terre.
Il offre aussi un reportage décrivant la vie quotidienne de ces femmes artistes qui luttent, à travers ce savoir-faire, pour survivre et faire vivre leurs enfants. «C’est avec la terre que je me suis modelée», est le titre de la rubrique « Rumeurs ». Une rubrique originale qui jette la lumière sur les chants et la musique transmis de génération en génération.
ZAT s’arrête dans les lieux publics. Et c’est dans la gare de Sejnane que les lecteurs découvrent un drôle de personnage, « Haj Kacem », qui n’est d’autre que le flamant rose, interviewé par Ahmed Blaïech. Pourquoi une action artistique collective en milieu rural ?
«Mettre le monde en œuvre, créer de nouveaux modes opératoires artistiques, travailler sur les corps intensifs en quête de savoir et de sensibilité, produire une esthétique des relations sociales et lancer un défi à toute dictature, à toute forme de radicalisation ou de marginalisation; ce qui est précisément le matériau du collectif du Dream City», expliquent dans un article du magazine Selma et Sofiane Ouissi.
Rappelons que ces chorégraphes ont débarqué, il y a quelques années, de France, pleins de volonté et d’ambition. Aujourd’hui, ils concrétisent progressivement leur rêve d’une manière originale et audacieuse. A la médina de Tunis, ils ont créé un théâtre des ruelles et des impasses.
A Sejnane, ils ont modelé une terre invisible en dansant avec la lumière et avec l’argile… Ces deux jeunes sont capables de plus, parce qu’ils ont réussi à conquérir la liberté d’agir et de penser.