Les « nuits cinématographiques de Nabeul » se sont métamorphosées en « festival du film maghrébin » (Ffmn). Une belle initiative, audacieuse et intelligente de la part de l’Association des cinéphiles de Nabeul. Cinéastes, comédiens, critiques et invités d’honneurs, venus du Maghreb et d’Europe, se sont donc fixé rendez-vous, mercredi dernier, au complexe culturel Néapolis, pour célébrer l’ouverture de ce festival naissant.
Malgré cette assistance, plus de la moitié de la grande salle des spectacles est restée vide. Les cinéphiles auraient-ils préféré le festival du cinéma amateur qui se déroule en même temps à Kéliba ? Peut-être ! Il aurait certainement fallu une coordination entre les deux manifestations pour éviter ce chevauchement.
A chaque festival son importance. L’Association des cinéphiles de Nabeul est déterminée à renforcer, dorénavant, les rencontres et les échanges artistiques et culturelles entre les pays frères et voisins. Elle vise une collaboration à long terme, en vue de créer un fonds de convention pour la promotion de la production cinématographique intermaghrébine.
Que des bonnes intentions ! Pour cette troisième session, baptisée « cinéma d’exception », le Ffmn a choisi un programme chargé : une soixantaine de films récents (longs et courts, entre fiction, documentaire et d’animation), un gros plan sur le cinéma amazigh, un zoom sur la production belge et française, des séances Euro-Maghreb Cinéma pour enfants, des hommages et des tables rondes. Sans oublier le tophet « Nabeulensis d’Or » (La tortue d’Or), inspiré d’un patrimoine zoologique méconnu de la région…
Un avant-goût amer !
Après un longue cérémonie d’ouverture, chargée de discours redondants et ennuyeux, Anis Lassoued, organisateur de la manifestation, déclare enfin ouverte cette troisième session du Ffmn, avec la projection d’un court métrage Tabou de la réalisatrice tunisienne Salma Baccar suivi du film Pégase du Marocain Mohamed Mouftakir.
Mais avant d’éteindre les lumières, Amel Mathlouthi, — qui a interprété le premier rôle dans Tabou —, monte sur scène pour une note musicale. Elle a joué à la guitare une de ses chansons figurant dans la bande son du film. Dans Tabou, la chanteuse s’est mise dans la peau d’une fille, victime d’une agression pédophile et qui s’est rappelée, un jour, de ce douloureux souvenir, enfoui dans son corps et dans son esprit…
Un court métrage linéaire, lent et sans originalité. Selma Baccar voulait traduire, à travers une dizaine de minutes, le silence qui étouffait la jeune fille au fil des années et illustrer la blessure incurable et la douleur insupportable…Mais hélas, aucune émotion ne se dégage du jeu de Mathlouthi…. On est franchement restés sur notre faim….
Les tréfonds d’une mémoire malade
Heureusement que le film Pégase est venu sauver la soirée. Il s’inscrit comme une plongée brûlante dans les tréfonds d’une mémoire malade. On avance pas à pas dans un univers lugubre et presque sans lumières. L’action se déroule dans un hôpital où une psychiatre devait s’occuper d’une malade sans identité, agressée dans la rue. Chaque scène amène une question…
Et les réponses se succèdent à la fin du film. Les personnages semblent émaner d’un monde parallèle et onirique. Ils sont comme émergés d’un conte populaire ou d’un souvenir d’enfants. Ils se confondent parfois, ne devenant qu’une ombre.
La réalité est rêve et le rêve réalité. Pendant une heure et demie, on oscille entre les images et les confrontations de plans, sans jamais perdre le fil conducteur… Pégase est un film complexe et brutal mais qui tient en haleine le spectateur… Tout se joue à travers les regards désemparés des adultes et des enfants. On dépasse l’apparent pour aller au-delà des limites. On traverse les vérités pour en découvrir d’autres….
Qui sommes-nous ? Qui croire dans ce monde de destruction où le rêve est banni. Faut-il ouvrir les yeux pour regarder la laideur du monde ou les laisser fermés pour continuer à rêver ? Avons-nous vraiment le choix ? L’influence de Shutter island de Martin Scorsese est claire. Mais toute comparaison serait déplacée. On peut dire tout de même que Pégase est aussi perspicace que le film américain, mais selon les moyens et les normes d’un film maghrébin de haute facture.
Un Shutter island à la marocaine qui a honoré l’ouverture du festival du film maghrébin de Nabeul