«Dégage… un seul mot pour dire notre ras-le-bol»

La révolution tunisienne du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011

Dégage, la révolution tunisienne du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, est un livre édité sous le signe de la liberté. Beau, élégant et touchant, il est le premier ouvrage de Alif qui, depuis vingt-trois ans, n’a subi d’autres censures «que celles de nos choix et de nos responsabilités citoyennes», affirme l’éditeur.

Cet album de photos et ce recueil de témoignages est aussi un livre d’histoire et d’hommage : un hommage que Alif et son coéditeur français Du Layeur ont voulu rendre à plusieurs personnes dont «les victimes de Ben Ali, mortes, handicapées à vie ou ayant subi des violences physiques et morales (…), tous ceux et toutes celles, femmes et hommes, qui ont mené à terme la révolution tunisienne….».

Chaque mot, chaque phrase et chaque photo exprime une charge émotionnelle exceptionnelle. Même la mise en page a une touche d’originalité, rare dans nos éditions. Dans les premières pages, on brosse la carte de la Tunisie, du Nord au Sud, en mettant en relief les 24 gouvernorats de la Tunisie et en zoomant sur ceux du Kef, Kasserine, Gafsa et Sidi Bouzid.

Le sommaire est présenté dans des cadres, en différentes couleurs, relevant une dizaine de chapitres. Le début est fait pour rafraîchir les mémoires : Sadok Abdelhak relate les histoires des premières révoltes qui sont survenues dans la Tunisie centrale depuis les Numides jusqu’à la guerre de l’indépendance, en passant par la révolte de Ali Ben Ghedhahem en 1864 et l’insurrection des F’rechiches en 1906.

Après cette Tunisie oubliée, on passe à un décryptage où on raconte, au jour le jour, les événements du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. C’est à la comédienne Leïla Toubel que revient le premier honneur de décrire le fameux rassemblement qui a eu lieu devant le ministère de l’Intérieur «Dégage… un seul mot pour dire notre ras-le-bol (…) Dégage… un seul mot pour dire assassin (…) J’ai eu envie d’ouvrir mes bras et d’enlacer cette immense foule», écrit-elle…

L’hommage à l’armée tunisienne est rendu par une série de photos où des fleurs garnissaient, pendant des jours, les chars et les armes des militaires. Par la plume de Soufiane Ben Farhat, l’ouvrage dédie aussi un autre hommage aux jeunes Tunisiens qui ont réclamé la dignité et le droit au travail. Une sorte d’adieu au martyr.

Dégage est aussi un ouvrage qui dénonce une information sous haute surveillance. Une «autopsie» est réalisée pour morceler cette pratique indécente qui a bloqué, pendant des années, tout mouvement d’idées. La parole est donnée aux journalistes pour qu’ils expriment leur frustration. Souad Ben Slimane raconte pourquoi elle a choisi ce métie; Lina Ben Mhenni décrit comment elle essaie, par ses écrits, de changer les choses, Néji Bghouri déclare qu’il n’a jamais eu confiance en Ben Ali…

Du journalisme aux slogans de la révolution. Dégage rassemble une centaine de mots, de phrases, de demi-mots, de dessins, de graffiti, de tags… tout ce qui a été écrit, gravé, peint sur les murs, les voitures, les banderoles, les visages, les vêtements… Un vrai chef-d’œuvre. Parmi ces images de la révolution, on relève plusieurs affiches de cinéma manipulées avec beaucoup d’humour et de justesse par le caricaturiste ADN Adenov, ainsi que des photos de Facebook «à partager»…

Un chapitre est consacré à la Constitution tunisienne, du 1er juin 1956 jusqu’à l’ère de la révolution, avant de présenter, un à un, dans les dernières pages, baptisées «Chkoun Chkoun» (who’s who), les membres des familles Ben Ali et Trabelsi : le couple qui «s’est tant aimé et qui nous a tant méprisés». Ces pages contiennent aussi une brève biographie de 28 personnalités qui, selon les éditeurs, «comptent, ont compté, ou compteront». Le livre s’achève sur des témoignages et des images recueillis après le 14 janvier.

Journalistes, artistes, avocats, juristes, intellectuels ou tout simplement des citoyens et des citoyennes ont été enfin libres de témoigner de leur vécu. Ils ont répondu à trois questions : comment avez-vous vécu vingt-trois ans sous Ben Ali ? Comment avez-vous vécu les vingt-neuf jours de la révolution ? Comment voyez-vous l’avenir?

En un mot, Dégage est un bel hommage à la victoire de la Tunisie.

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