Les danses interdites…

Rencontre chorégraphique de carthage : «Cargo», spectacle du Studio Kabako, au 4e Art

«Kabako est un danseur et un conteur», se présente le chorégraphe congolais, lundi dernier, sur la scène du 4e Art. Ce soir-là, il a décidé de ne pas raconter des histoires, mais de danser sur les rythmes de ses souvenirs qu’il est allé chercher loin dans son village natal. Ces rythmes-là sont ceux d’une danse interdite, imaginée, pendant des années, dans un lit d’enfance.

Kabako a décidé aussi de se taire et d’écouter les murmures de son passé. Pourtant «Cargo» commence par un récit, que le danseur raconte, assis sur un tabouret. Avec un ton dans le même temps sûr et inquiet, il se remet en cause : «A quoi serviraient les histoires de misère ou de bonheur que je raconte ? Pourquoi je danse et pour qui ?».

A travers des voix confuses, les mouvements prennent forme. Fluides, internes et discrets, ils émanent, en douceur, d’un corps en ébullition et d’une énergie intériorisée. Soudain, la gestuelle, jusque-là profonde, subtile et pertinente, change d’aspect. Le chorégraphe courbe le dos, se met à suivre une trajectoire circulaire et continue de s’immerger dans sa mémoire et son imaginaire.

En équilibre dans les mots, la marche semble raconter une errance sans début ni fin… Le conteur perd, encore une fois, ses repères et retourne à la case départ, à son village et à l’église de son père…. Là-bas, tout a changé : les gens, les rythmes, les voix, les religions, la danse… On ne touche plus au tambour, la musique est «satanique»…

«Comment donc danser ? Il fallait improviser», raconte le chorégraphe. Une fête s’impose. Un musicien d’un autre village a accepté de jouer au tambour : les rythmes se déchaînent, les mouvements se dérèglent. Le corps s’affole et s’abandonne aux plaisirs éphémères d’une fête sans lendemain. Ivre, la gestuelle prend des formes arrondies. Elle paraît sauvage et toute en extériorité, livrant combat contre une ombre, un démon.

Kabako a réalisé un puissant corps-à-corps, cruel et tendre. Très vite, le dos se courbe de nouveau, s’oublie encore dans cette marche tourbillonnante. Le chorégraphe fredonne, cette fois, des chansons de son enfance, celles apprises par son père dans la chorale de l’église du village.

L’histoire racontée au début de la pièce s’enchaîne en bande sonore et l’artiste reprend sa danse, d’abord dans un filet de lumière, qui se fait ensuite lumière tamisée pour s’éteindre enfin. Il déploie aussi bien les doux gestes de sa danse interdite que la brutalité nerveuse de ceux de la fête permise. Le tout dans un mélange très homogène qui traduit le jeu du vrai et du faux dans lequel échoue l’identité et qui pleure enfin une danse… une danse qui s’est éteinte dans l’obscurité de la nuit.

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