Encore du pain sur la planche

Patrimoine : Les musées tunisiens, conférence de Habib Ben Younès à Art’Libris

«Le prestige de nos collections et la richesse de notre culture sont comme cet arbre qui cache la forêt, ou plutôt le désert», affirme Habib Ben Younès, directeur de la division de développement muséographique, au sein de l’Institut national du patrimoine.

Au cours d’ une conférence, sur les musées tunisiens, tenue samedi dernier à l’espace Art’Libris, le chercheur a dressé un tableau noir de la situation actuelle des musées. Sans statut juridique clair qui les définit et sans une volonté politique qui les propulse, ces derniers ne peuvent fonctionner dans les règles de l’art.

Les musées sont jugés «non attractifs», «inintéressants», «ennuyeux» et «sans personnalité». Les entrées, payantes ou gratuites, sont loin de satisfaire les demandes toujours croissantes d’un secteur gourmand. ( En 2009, on a enregistré sur la cinquantaine de sites et musées, environ 2.200 visiteurs dont 700 Tunisiens).

De récentes statistiques révèlent ainsi une baisse de fréquentation de musées non seulement par le public local mais aussi étranger. «La crise mondiale peut expliquer cette baisse, en ce qui concerne les touristes. Mais je reste perplexe devant la diminution des visites locales. Le Tunisien vit-il lui aussi la crise?», se demande Habib Ben Younès. Evidemment, répondent la plupart des présents à la conférence.

La crise actuelle est d’ordre culturel plus que financier. Une réconciliation des Tunisiens avec leur mémoire et leur patrimoine est aujourd’hui, nécessaire voire urgente. «Si la situation des musées, déjà mal en point, se dégrade constamment, c’est parce qu’on a toujours marginalisé ce secteur qui est d’une importance majeure, et ce, depuis les années 75. Le patrimoine a souffert et souffre encore d’une mauvaise politique culturelle», dénonce Habib Ben Younès.

Le chercheur remonte le temps jusqu’à la fondation en 1957 de l’Institut national d’archéologie et d’arts, puis de l’Institut national du Patrimoine, en 1993. «Commence alors le début de la fin. Le secteur de l’ethnographie est livré à lui-même. Avec la disparition du Centre des arts et traditions populaires,recherches et collections, on consacre un département, mal défini, dont j’assure la direction depuis 2000. Je peux dire que j’ai démarré à zéro. Hormis les initiatives d’inventaires menées par Mohamed Yacoub, il n’y avait rien de structurel ni de fondamental», ajoute encore Ben Younès.

Dans un flou juridique le plus absolu et avec peu de moyens, ce directeur a essayé d’appliquer, dans le cadre du possible, les règles fondamentales de la muséologie. «Pourtant, je suis censé diriger une direction de muséographie», explique, t-il. Premier amalgame de la définition de poste, la muséographie regroupe l’ensemble des techniques de mise en forme des projets d’exposition, comme la mise en scène (scénographie), l’éclairage, la construction de panneaux, vitrines, la conception graphique….

La muséologie précède donc la muséographie. Elle est une discipline à part qui étudie, réfléchit et questionne le musée. Elle tient en compte la gestion, la recherche, la conservation, le classement, la mise en valeur des collections, la médiation, l’animation, ainsi que les fonctions philosophiques, sociales et culturelles des musées, tout comme les attentes, les besoins et les pratiques des publics. Elle interroge également l’avenir de tout ce qui a un rapport avec les musées dans l’espace public, et s’interroge sur les orientations et sur les formes nouvelles que le musée pourrait éventuellement prendre.

Il y a urgence à agir

En Tunisie, il y a non seulement une confusion entre les deux concepts, mais aussi une réelle ignorance de tous les critères fondamentaux d’un musée. Depuis 2005, Habib Ben Younès a adressé un rapport mettant en exerce les besoins les plus urgents pour le bon fonctionnement des musées, en ce qui concerne le personnel en particulier.

«J’ai demandé la création d’un minimum de 500 postes, en plus des 170 existants pour l’ensemble des musées. J’ai aussi demandé le recrutement des fonctionnaires qui travaillent d’une manière temporaire». Aucune réponse. «Ce rapport auquel j’ai participé serait-il soigneusement rangé dans les casiers fermés à clé?», se demande Denis Lesage, architecte urbaniste qui collabore au projet de la rénovation du musée du Bardo.

Les chercheurs ont aussi soulevé la méconnaissance de certains hauts responsables de la culture et certains conservateurs des budgets consacrés à leurs musées. Pire encore, ils ont évoqué l’absence même de directeurs de musées et la multitude des tâches de quelques responsables qui sont obligés à être partout et au même moment.

«Les archéologues se considèrent comme les propriétaires des collections de fouilles. Ce qui n’est pas normal. Certains sortent en retraite sans laisser d’archives. Ils n’inventorient pas leur objet et ne participent pas à la promotion des musées», remarque Ben Younès. Depuis des années, ce directeur gère la misère. Il rame à contre courant en espérant des jours meilleurs.

Aujourd’hui, encore, il se révolte contre le blocage politique, le flou juridique et le manque de conscience qui ont toujours entravé ses actions. Pour l’avenir, il plaide pour une réforme de la gestion des musées et la promulgation d’un décret spécifiant surtout la nature des collections, l’autonomie des ressources financières du secteur et la création de nouveaux postes d’emploi.

Pour chaque musée, Habib Ben Younès préconise une identité particulière spécifique à sa région. «Mais en l’absence d’une équipe suffisamment formée, capable d’expliquer l’importance historique et identitaire des collections, y compris les plus prestigieuses, tous nos efforts seront vains.

Les musées seront toujours en marge de la société, sans clients, sans revenus, sans personnel, sans mémoire», ajoute encore le conférencier.

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