Espaces publics… cherchent public

Débat autour de l’art dans la rue

«On est allé dehors, parce qu’il faisait froid dedans»: ces paroles sont celles de Claudine Dussolier, coordinatrice de projet pour les pays arabes, lors d’un débat tenu, il y a quelques jours, dans le cadre de la manifestation Dream City, qui avait quelque peu bouleversé la physionomie de la Médina de Tunis l’espace de quelques jours. Elles sont aussi celles des artistes contemporains français des années 70.

«A cette époque, de nombreux artistes avaient quitté les théâtres pour conquérir les espaces publics. Les causes de ce phénomène sont multiples certes, mais on ne peut ignorer que la sortie de l’art dans la rue coïncide avec la mutation urbaine et le changement des modalités de la vie qu’a vécu la France dans ces anné-là», explique-t-elle. Bref, le besoin d’être dans l’espace public n’est pas né de rien. C’est la conséquence d’une situation sociale particulière.

Deux sociologues, Hamdi Ounaina et Abdessatar Sahbani, ont essayé d’expliquer, de leur point de vue, ce besoin naissant de se produire dans l’espace public. Malheureusement, le propos était trop général et leurs interventions ont baigné dans l’approximation… Apparemment, les spécialistes n’étaient pas suffisamment armés pour répondre à une telle question. Le phénomène est encore nouveau chez nous. Les initiatives artistiques dans les places publiques ne courent pas les rues, et le thème ne paraît pas encore faire l’objet d’une grande réflexion… «Mais nous avons réellement besoin d’être dans l’espace public.

Ceci n’est pas propre aux artistes tunisiens : il touche aussi ceux des pays du monde arabe», affirme la danseuse et chorégraphe Selma Ouissi, directrice artistique du festival. Son argument, elle le tire de la naissance même du projet Dream City. Ce dernier a été proposé, en 2007, lors d’un «meeting point» organisé par l’Egyptien Tarak Abou El Fetouh, directeur de «The Young Arab Theatre Fund» (YATF).

Cet espace de résidence invite une dizaine d’artistes du monde arabe à réfléchir sur des projets d’art contemporain dans leurs pays respectifs. «Ce n’est pas un hasard si la moitié des participants a opté pour des projets dans l’espace public…», précise Selma. Selon elle, l’enthousiasme et la participation massive de plusieurs artistes à cette initiative, et ce, depuis la première session, est aussi révélateur de ce besoin.

L’artiste ne veut plus être enfermé dans un monde à part et attendre un public, toujours absent. Il s’affirme aujourd’hui en allant vers le citoyen ordinaire, en bousculant son quotidien et en l’obligeant à le regarder et à l’entendre… Marie-Paule Rolland, artiste et membre du collectif La Luna ( rassemblement artistique développant un projet de création en arts plastiques et visuels autour d’une exploration des espaces contemporains), parle d’un «choix personnel loin du marché de l’art et de ses contraintes» et d’«une manière de vivre» sans barrières dressées face aux rêves et à la liberté.

Même dehors, il fait toujours froid

Aux artistes participants à Dream City, une question est posée qui est la suivante : pourquoi l’art en espace public aujourd’hui en Tunisie ? «Ils ont tous répondu par deux mots inachevés : réconciliation et réappropriation». Réconciliation avec qui ? Réappropriation de quoi ? Selma Ouissi apporte la réponse. Avant de lancer le festival, les artistes se réunissaient autour de tables rondes.

Ces mots revenaient sans cesse. «Le Tunisien a tendance à porter une identité qui n’est pas la sienne et à vivre dans une réalité venue d’ailleurs. Il est intellectuellement emporté par l’idée de l’autre», observe-t-elle. Elle, artiste tunisienne, cherche à se réconcilier avec son histoire, sa ville, sa famille… Elle veut s’approprier ce qui lui appartient: son identité et sa médina.

Mais la réconciliation n’est pas totale. Le public fait encore défaut. Dream City, même s’il s’agit d’un produit qui se place au cœur de la ville, est resté peu fréquenté. Avant le lancement du festival, Soufiane Ouissi, danseur et chorégraphe, également directeur artistique, a fait pendant huit mois du porte-à-porte pour convaincre les gens de participer, par leur maison et par leur présence, à la manifestation. Les artistes visitaient les lieux de représentation, six mois avant le jour J.

«Ce qui leur a permis de tisser des liens sociaux assez forts», témoigne encore Béatrice, chargée de communication au sein du collectif. Apparemment, ces efforts se sont avérés assez vains. Il y a encore beaucoup de travail pour initier le «non public», à l’art contemporain… «En deux ans, on ne peut pas atteindre des objectifs aussi ambitieux. Cela viendra petit à petit par l’intelligence, la douceur et l’envie de réaliser des rêves», conclut Selma Ouissi.

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