Il reste du chemin à faire

«Danser à Tunis», rencontres des chorégraphes à Mad’Art

Nawel Skandarani
Nawel Skandarani

Sur la scène de Mad’art, Nawel Skandrani tape du poing sur la table. Son regard est foudroyant et sa voix en rage.  Depuis une vingtaine d’années, la chorégraphe, comme une guerrière infatigable, mène toujours le même combat. Elle ne cesse de remuer les haches pour rendre à la danse contemporaine tunisienne ses titres de noblesse.

«Il était une fois un ballet national tunisien » — pour reprendre le titre de son intervention ; il y avait des chorégraphes qui créent et des danseurs qui rêvent, il y avait de l’espoir et de la magie.

Ce qui en reste aujourd’hui ? Ce sont les maux d’un corps frustré, exprimés mardi dernier à l’occasion de «Danser à Tunis».

Leïla Sebaï, Nawel Skandrani, Imed Jemaâ, Dora Bouzid et autres personnes sont passée sur la scène. Ils ont, chacun à sa manière, ravivé le souvenir d’une belle époque. Ils ont parlé du passé, critiqué la situation actuelle et suggéré un avenir meilleur.

Toute cette rencontre fait répandre l’écho de la citation de Nietzsche que Raja Ben Ammar et Zeïneb Farhat, organisatrice de «Danser à Tunis», ont choisie pour «refléter l’état d’esprit» qui anime la manifestation. Elle stipule: «Je vous le dis, il faut avoir encore du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante». Les intervenants semblent vouloir dépasser le «chaos» qui est en eux et enfanter à tout prix l’«étoile dansante». Encouragés par la volonté politique, Leïla Sebaï propose un projet de maison de la danse, Imed Jemaâ, un centre de chorégraphie national, Nawel Skandrani offre son savoir pour mener à bien toute initiative nouvelle au service de la danse. «Personne n’est innocent.

Des erreurs ont été commises d’un côté comme de l’autre», avance-t-elle. Pour elle, le passé est révolu. Plusieurs rêves sont, aujourd’hui, brisés, plusieurs ailes sont cassées, les noms de danseurs sont oubliés. Apparemment, rien à faire pour guérir les blessures. Le mal est fait et les larmes ne sécheront jamais. «Inutile de regarder en arrière. Il faut désormais s’orienter vers l’avenir et réfléchir d’abord à une stratégie de formation académique sérieuse pour former les chorégraphes de demain. Sans  relais, la danse contemporaine tunisienne ne survivra pas», ajoute-t-elle.

La formation, une priorité

D’après les professionnels de la danse, le public n’a jamais déserté les ballets. La preuve : son engouement au festival d’été et au printemps de la danse de Sihem Belkhouja. Les jeunes, avides d’apprendre le langage du corps, remplissent aussi les écoles privées. Le danger, c’est que ces derniers sont parfois mal orientés et mal encadrés et que leur avenir de danseur n’est jamais assuré. Tout le monde est convaincu que c’est le rôle des professionnels d’imposer le métier de chorégraphe et celui de danseur. «Mais on ne peut y arriver tout seul. Le soutien de l’administration est indispensable», insiste Raja Ben Ammar.

Les chorégraphes et les danseurs espèrent trouver une place à la cité de la culture. Là où ils pourront créer en toute liberté, former de jeunes danseurs et présenter leurs spectacles. Les compagnies souhaitent avoir droit à  des subventions à la création et à la diffusion, à l’instar des autres troupes de théâtre et de musique…

Bref, les chorégraphes veulent exister en tant qu’artistes tunisiens à part entière. Mais apparemment, la reconnaissance de cet art n’est pas  encore gagnée. Fathi Zghounda, directeur de la musique et de la danse au sein du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, a pris la parole comme pour répondre à  Nawel Skandrani‑: «J’ai toujours bataillé en faveur de la danse mais en vain. Plusieurs personnes refusent de considérer cet art comme une discipline artistique noble. Et parfois, je me sens obligé de me présenter en tant que directeur de la musique et j’évite d’inclure la danse». Visiblement, la guerre n’est pas finie de sitôt.

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