La beauté de la terre rouge

JJC, Compétition officielle : Les larmes de l’émigration, d’Alassane Diago (Sénégal)

Sur le visage de sa mère, Alassane Diago a ouvert les yeux. Et c’est sur ce même visage qu’il a braqué ses premières caméras, lui ce réalisateur d’à peine 23 ans. Les larmes de l’émigration, retenu en compétition officielle aux JCC, nous a surpris par sa délicatesse et sa beauté… Alassane Diago a su exploiter différemment un thème, devenu usé au fil de ces journées cinématographiques. Il a traité le phénomène de l’émigration, sans avoir recours à l’épisode classique de la cavale infernale de ceux qui rêvent d’un monde meilleur.

C’est du côté de ceux qui restent au bled que Alassane Diago s’est penché. Il a choisi son propre village, situé quelque part, au nord du Sénégal, à la frontière avec la Mauritanie. Il a raconté l’histoire de sa mère qui, depuis 23 ans, attend, dans une même maison inachevée, sur la même natte, un mari qui ne revient pas. Le père était parti travailler ailleurs avec l’espoir d’améliorer la situation financière de la famille, devenue difficile à cause d’une sécheresse qui avait frappé le pays.

«Je vous demande d’être patient. Le film est lent, je le reconnais. Mais c’est dans cette lenteur qu’il puise sa force», prévient le réalisateur avant la projection, mardi dernier, au 4e art.

Une heure et demie s’est écoulée et le public n’a exprimé aucune impatience… On regardait avec admiration cette femme accroupie qui se lave pour la prière… On suivait ses pas lourds et sa démarche droite quand elle allait rendre visite aux voisins… On contemplait ses mains tremblotantes quand elle ouvrait la malle où elle range les vêtements, les photos et quelques objets de son mari…Elle les caresse pour la énième fois et pose toujours les mêmes questions : où est-il ? que fait-il ? Pourquoi ne revient-il pas ?…. C’est la foi en Dieu qui calme ses tourments. Elle lui permet de supporter son chagrin, de combattre sa faim, de se protéger des marabouts et de préserver sa dignité… C’est sa croyance en Dieu qui panse ses nombreuses blessures.

Alassane Diago suit donc le rythme de la prière… Le minaret est souvent introduit dans le champ de tournage. L’appel fait partie de sa bande sonore, ainsi que tous les sons de son environnement : le chant des coqs, le meuglement des vaches, le roucoulement des colombes… Le soir, c’est à la lumière des bougies qu’il s’entretient avec sa mère. Paupières mi-fermées par la fatigue, elle chante ses vieilles chansons, celles qu’elle a oubliées depuis longtemps. Pour la première fois, on voit son sourire. Un rire très vite dissipé.

Alassane s’attarde sur les détails, sur le flottement des rideaux au seuil des chambres, sur les tics de sa mère et de sa sœur qui, elle aussi, a vu partir son mari depuis quatre ans… l’attente et la patience sont transmises de mère en fille… Les larmes de l’émigration est un appel à tous les pères qui ont quitté leurs femmes et leurs enfants ; un appel d’amour mêlé de souffrance.

C’est aussi une image d’une Afrique qui vit la misère mais qui préserve sa dignité… On a oublié que, sur la terre rouge, une telle beauté pouvait exister…

Leave a Reply