«La joie de vivre» sur les décombres de Carthage…

Classements et déclassements à la Maâlga

Lancement de la procédure d’approbation du Plan de protection et de mise en valeur du site culturel de Carthage – Sidi Bou Saïd (PPMV)

«L’achat et la destruction des 84 appartements et villas, bâtis sur les terrains archéologiques de la Maâlga, plus connus sous le nom de cité “Hannibal: Résidence de Carthage”, serait certes, la solution la plus satisfaisante, mais pas la plus raisonnable», a déclaré, après beaucoup d’hésitation, le ministre de la Culture, M. Azedine Beschaouch, mercredi dernier, lors d’une conférence de presse.

L’Etat aurait versé aux «victimes», la somme de cent millions de dinars pour pouvoir se réapproprier les terrains déclassés. Ce qui est, selon le ministre, exorbitant. «Cet argent serait plus utile pour la rénovation, par exemple, du musée de Carthage qui est, depuis des années, dans un état lamentable», explique-t-il. Ce musée, d’après lui, a besoin de plus de 25 millions de dinars pour être réaménagé, dans les règles de l’art. Ce serait une question de priorités.

Ces habitations, «juridiquement légales», sont-elles moralement légitimes? Le ministre reconnaît la complexité de la situation et son incapacité, face à une loi «constitutionnelle» qui protège les biens privés. Ces citoyens sont armés de contrats en règle: leurs permis de bâtir sont signés conjointement par l’ancien maire de Carthage et par l’ancien directeur de l’Institut national du patrimoine. Les contrats d’achat sont rédigés sans aucune faille juridique, «sauf pour les premiers acheteurs qui présentent des cas de spéculation flagrants», précise M. Beschaouch.

Depuis le mois de juin dernier, un comité composé de représentants de six ministères étudie, cas par cas, ces contrats de vente et d’achat et discute les possibilités de pénalisation. Dans tous les cas de figure, l’achat est inévitable. Ce respect religieux de la loi met ces propriétaires de luxe dans une position de force. Ils ont répondu présent à une annonce publique mettant à l’affiche le terrain archéologique.

Ils l’ont acheté à des prix astronomiques (2. 650 DT le m2 construit et 1.200 DT le m2 pour les lots de villas), en profitant, peut-être (?!), des vestiges retrouvés dans les décombres de cette zone limitrophe d’une importante basilique chrétienne du VIe siècle (selon les archéologues). Du point de vue de la loi, ils sont innocents. Le déclassement de ces trois terrains de 12,5 ha du Parc archéologique national de Carthage , classé patrimoine mondial par l’Unesco depuis 1979, n’est pas de leur responsabilité et l’enrichissement des familles proches de la présidence ne les concernait point.

L’arrêté ministériel du 16 février 2011, le décret-loi n°11 du 10 mars 2011 et le communiqué du ministère de la Culture du 2 mai 2011, publiés pour mettre fin au bétonnage de cette zone, en particulier, ont attendu jusqu’au mois de juin pour être mis en application…partielle. «Le chantier ne pouvait être stoppé sans un ordre de l’ancien maire de Carthage. Or, ce dernier s’est cloîtré chez lui et a refusé tout contact», a confié le ministre. Pendant ce temps, les travaux continuaient au vu et au su de tout le monde.

Ils ne sont pas les premiers…

L’arrêté ministériel stipule encore la suspension de la validité de tous les permis de bâtir relatifs aux terrains à caractère archéologique et historique dans le périmètre du site Carthage-Sidi Bou Saïd inscrit depuis 1979 sur la liste du patrimoine mondial, étant donné que tous ces permis, sans exception, ont été accordés illégitimement, en application d’une procédure fondée sur une apparence de légalité.

Le communiqué du ministère de la Culture annonce, en outre, que «toutes les constructions abusives et non conformes aux réglementations en vigueur et qui portent préjudice direct ou indirect aux sites archéologiques et aux monuments historiques, seront démolies, au cas par cas, conformément aux dispositions réglementaires en vigueur».

«Ces gens ne sont pas les seuls à s’approprier des terrains archéologiques à Carthage. Ce qui complique davantage la situation», avance le haut responsable. Puis d’ajouter : «Ils ne sont pas les premiers prioritaires, certes, mais ils seront les derniers». Les ministres de la Culture et de l’Équipement et de l’Habitat sont en train de lancer la procédure d’approbation du Plan de protection et de mise en valeur du site culturel de Carthage – Sidi Bou Saïd (PPMV), conçu par l’archéologue Abelmajid Ennabli et par l’urbaniste Jallel Abdelkéfi.

Cet acte législatif, créant le Parc national de Carthage – Sidi Bou Saïd, mettra fin aux déclassements et délimitera, d’une manière quasi définitive, les frontières du site. Le nouveau plan sera présenté au prochain conseil de l’Unesco. Ce qui évitera de décréter le site de Carthage «patrimoine en péril».

 Des biens confisqués

En outre, le décret-loi du 10 mars, signé par le Président de la République, M. Foued Mebazaâ, annule les décrets de déclassement publiés dans le Journal Officiel entre 1992 et 2008. Donc, tous les terrains non bâtis seront récupérés. «Les titres fonciers qui s’y rapportent retournent au domaine public de l’Etat, en préservant les droits des tiers», lit-on sur le texte de loi. Conformément à ce décret-loi, la villa de Sakher Materi, bâtie sur la colline de Sidi Bou Saïd, sera transformée en un grand complexe culturel.

La propriété de Belhassen Trabelsi, plantée sur un terrain appartenant au palais Ennejma Ezzahra et adossée à la villa de Cheikh Kabadou, adjacente à ce palais, sera convertie en une maison d’accueil pour les artistes de renommée…Tous les biens immobiliers de la famille seront confisqués et exploités par le domaine public.

Concernant les lots compris entre deux maisons déjà bâties, les propriétaires seront obligés de financer des fouilles pour interroger le terrain, avant toute construction. «Au cas où ces sondages débouchent sur la découverte de pièces archéologiques ne pouvant être déterrées ou déplacées, les parcelles concernées seront clôturées et déclarées biens publics», a précisé le ministre.

Ces terrains seront peut-être transformés en petits musées aménagés dans «Hannibal : résidence de Carthage», pour rappeler aux visiteurs et aux générations futures cette honte, à jamais gravée dans la mémoire de la Tunisie.

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