Zajel de Zad Moultaka, opéra arabe de chambre sur scène
Zajel de Zad Moultaka, opéra arabe de chambre arabe, présenté mercredi dernier au Festival international de Hammamet, est l’histoire d’un disciple qui défie son maître, d’une joute poétique opposant le jeune Assaad el-Khoury el-Féghali (dit le Chahrour) et l’aîné (de la même famille?) Khalil el-Khoury el-Féghali. Le disciple évolue sur scène, le maître est présent sur écran. L’un paraît insignifiant, l’autre en impose.
Entre les deux se placent les instrumentistes, coincés derrière une table blanche. La scène est donc l’arène d’une guerre poétique sans merci. On pointe les armes et on charge. Les vers, ou le jeu des syllabes, sont projetés d’un côté et d’un autre, avec autant de violence que de justesse. «La guerre est notre vie», déclare dès le début du spectacle le géant du haut de la scène.
Le duel se déroule en trois temps, qui correspondent aux différents actes de l’opéra. Il y a d’abord le défi, ensuite le rêve, et enfin la délivrance. Le rythme commence lentement et monte crescendo jusqu’à la transe, sauf au deuxième acte, moment de trêve, où l’on se repose loin des mots et loin des sens. La voix se fait muette, l’image sur l’écran « troublée » et la musique monocorde.
Les instrumentistes, baignant dans une scène obscure, se mettent dos au public, face à un chef d’orchestre qui semble ne plus diriger que les gradins. Ce rêve se prolonge progressivement, interprétant ainsi un zajel particulier qui se libère de sa forme habituelle. On le voit à travers l’expression des visages de poètes, projetées, en flash, sur l’écran, et on le devine à travers des notes de musique qui prennent la place des syllabes et des rimes en se répondant l’une l’autre.
Ce moment de repos vient calmer la guerre verbale qui reprend tout aussitôt avec un souffle beaucoup plus violent. Dans la première partie (le défi), le maître met en difficulté son disciple en lui imposant à chaque fois un exercice plus difficile que le précédent. Au fur et à mesure de cette mise à l’épreuve, le zajel est défini sans longs discours : les origines, la pratique, les techniques, la virtuosité, la mesure, le ton, les rythmes…
Tout est dit d’une manière sobre, éloquente et surtout intelligente, sans quitter la joute. Le zajel désigne la poésie populaire traditionnelle, qui est souvent chantée. Il servait à rapporter les événements politiques, à pleurer un ami disparu, à attaquer un ennemi. Les vers et les mélodies sont indissociables, où l’on martèle les syllabes pour en extraire des sensations fortes.
Le Chahrour (le disciple) chante désormais, dépassant toutes les limites, jusqu’au dernier acte. Là, il déploie toutes ses prouesses techniques au point de faire perdre à son maître la mesure. Ce dernier ne suit plus la cadence et les mots deviennent murmures. Des éclats de rire, enregistrés sur une bande sonore, viennent comme pour faire porter le coup de grâce. Le maître dépose les armes : le Chahrour gagne la bataille.
A travers ce spectacle, inspiré du Livret Le trésor caché, écrit en 1909, Moultaka a fait une relecture réussie du patrimoine sans le déformer et sans le défigurer. Un travail réfléchi et bien recherché qui n’a pourtant pas eu d’effet visible sur l’audience, si ce n’est une certaine perplexité. Les applaudissements des rares spectateurs étaient mous.
On regrettera peut-être la durée trop courte du spectacle, le côté savant aussi d’une interprétation trop occidentalisée. A moins que ce ne soit l’effet de surprise d’une nouveauté qui tarde à être «reçue»…