Tête de penseur et âme d’artiste

Jeunes créateurs: Mohamed Ali Kamoun, pianiste-compositeur

«Je suis un pianiste et un compositeur de musiques d’influence jazz et de «makam», déclare enfin Mohamed Ali Kamoun. Il a fallu presque deux heures à ce jeune musicien pour trouver la formule exacte pour se définir. Il fuit les étiquettes et se veut affranchi de toutes tendances. Mohamed Ali Kamoun a ouvert avec succès le festival «Musiciens de Tunisie 2010» à Ennjema Ezzahra, avec un spectacle de oud et de nay «Kif eddenya», qui sera d’ailleurs repris prochainement à Hammamet, dans une autre version…

Dali Kamoun – c’est ainsi qu’on l’appelle —, est connu pour sa «tête» de penseur et pour son âme d’artiste. Le créateur a décroché plusieurs diplômes dont un master en jazz (de l’université de Strasbourg en 2002) ainsi qu’une thèse de doctorat avec mention très honorable en 2009, de l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Pourtant, il est toujours avide de formation. «Tout ce que j’ai appris n’est, pour moi, qu’une goutte d’eau dans un océan. Il y a encore du pain sur la planche», nous confie-t-il.

Assuré par une situation sociale confortable – il enseigne à l’Institut supérieur de musique (ISM) l’harmonie moderne et l’analyse musicale (sémiologie et cognition des formes temporelles) —, Mohamed Ali Kamoun plonge, brides lâchées, dans le domaine de la composition.

Toutes ses heures dépensées sur les bancs de l’école lui ont coûté en termes de création et d’entraînement… «Mais, à Tunis, la course vers les diplômes est un mal nécessaire, puisqu’elle est considérée comme le seul critère d’évaluation artistique et professionnelle de tout artiste. Ce qui n’est pas du tout vrai», corrige-t-il.

La course n’a pas empêché, en revanche, notre musicien de se donner corps et âme à sa passion : le jazz. Avant d’entamer sa thèse, Kamoun s’est débrouillé pour élargir sa palette de connaissances. Il s’est consacré à une formation parallèle : l’initiation à l’improvisation au piano moderne; stage de pratique d’ensemble, d’harmonie du jazz… Il a passé deux ans de perfectionnement en piano moderne et en musiques latino. Il a aussi accompagné l’orchestre de salsa de Maurice Copola…

Le jazz le hante depuis le jour où il a rencontré Abdullah Ibrahim, le plus célèbre des jazzmen sud-africains, en 1997, lors d’une conférence tenue à l’ISM à l’occasion de son passage au Théâtre municipal pour un concert. «C’était magique», se rappelle-t-il. Puis d’ajouter : «Le géant du jazz nous expliquait, avec beaucoup d’éloquence, comment le son prend ses essences du sol, et de quelle manière le pied l’intercepte et le propage dans tout le corps ! J’étais tellement ému que, à la fin de la conférence, je me suis isolé dans une salle de classe et j’ai commencé à pianoter mes émotions. A la fin, le jazzman, qui était à mon insu au seuil de la porte, m’a fait un signe de sa main. Ce geste m’a toujours montré la voie que je devais mener».

Kamoun se considère aujourd’hui comme un musicien de jazz. Il a nourri sa passion en interprétant dans les clubs les classiques dont Miles Davis, Bill Evans…. «Je sers la tradition à ma manière», observe-t-il. Depuis ses 13 ans, Mohamed Ali Kamoun réfléchit sur cette notion de «tradition». Il a fait ses premiers pas en étudiant la musique orientale avec Habib Darguech, «On était comme le maître et son disciple. Il m’a appris la musique oralement sans partition, avec très peu de notes. J’ai pris conscience du son». Il a chanté « Les mille et une nuits», de Fayrouz, avec l’Ensemble régional de la ville de Sfax. Et, adolescent, il s’est penché, comme tout adolescent, vers le rap, le hip hop et le clavier occidental, «Je me formais en écoutant RTCI (radio Tunis) de l’époque: seule source de savoir», précise-t-il. A l’ISM, il a choisi l’option «piano classique».

Mais c’est seulement après la maîtrise que Mohamed Ali Kamoun se lance dans ce qu’il appelle son vrai apprentissage : le jazz. «Il m’a fallu beaucoup du temps pour me débarrasser des séquelles de l’école. Après quatre ans d’études, je me sentais «formalité», prêt à l’emploi sans aucune identité. Je n’arrive plus à improviser des chansons comme autrefois et à jouer sans partition. J’ai assimilé certes quelques notions musicales, mais je n’a pas appris à écouter la musique qui est en moi».

Le swing du jazz et l’improvisation l’ont beaucoup aidé pour retrouver son rythme personnel. Dans ces spectacles, il mise sur la sincérité de la note et sur cette magie instantanée qui se crée spontanément quand les instruments se rencontrent. Il croit à la pureté des sons, à la complicité des musiciens et à la diversité des tendances artistiques. «Le jazz m’a appris à écouter ma partition interne, de me découvrir et de me respecter», ajoute-t-il.

Etant professeur à l’ISM, il a pris l’initiative d’introduire l’enseignement du jazz dans le programme universitaire. Il lutte pour la survie des clubs de jazz en voie de disparition. Il revendique un statut de musicien «qui est toujours marginalisé», précise-t-il.

«On souffre aujourd’hui, non d’une crise de création, mais d’une crise d’identité».

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